[Bestiaire ébloui des lexies tératoïdes]

Chapitre 12

Blocs de lettres

 

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« Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu’il craint ou désire le plus : rester caché, être découvert. »

(Perec, W ou le Souvenir d’enfance.)

 

 

Une question récurrente des rubriques anglo-saxonnes de jeux de lettres, demande de trouver le mot qui « commence et finit par und » (la réponse est quelque part sur cette page). Quelle serait une question équivalente en français ?

 

Essayons de broder sur le motif « mon début est ma fin » et considérons d’abord les mots graphiquement doubles. En voici 107 :

 

agar-agar (algue), aye-aye (lémurien de Madagascar), baba, banban (qui boite), bébé, béribéri (maladie), bibi, blabla, bobo, bonbon, boubou (vêtement), bouiboui (café mal famé), bye-bye, caca, cache-cache, cancan, chichi, chouchou, chow-chow, coco, coin-coin, coucou, coupe-coupe, couscous, cracra (sale), cramcram (graminée d’Afrique), cricri (grillon), crincrin (violon), cucu (niais), cui-cui, dada, dare-dare, dodo, dondon, doudou (jeune femme), dum-dum (munition), fanfan (enfant), fifi (au Québec, homosexuel), fifty-fifty, fla-fla (recherche d’un effet, chichi), flonflon, foufou, frou-frou, gaga, galgal (tumulus), gingin (intelligence), glin-glin (saint), glouglou, gnangnan, gogo, gouzi-gouzi, grigri (amulette), guili-guili, houhou, ilang-ilang (plante), jaja (vin), jojo (affreux), joujou, kif-kif, kiki (gosier), lolo, loulou (chien), lulu (alouette), mémé, miam-miam, mimi (mignon), moutmout (en français d’Afrique : moucheron), nana, néné, nounou, olé olé, papa, passe-passe (tour de), pépé, pili-pili, pioupiou (jeune fantassin), pipi, pitpit (oiseau), pousse-pousse, quatre-quatre (véhicule), ronron, tam-tam, tata, tchin-tchin, teuf-teuf, tintin, titi, tom-tom (tambour), tonton, toto (pou), toutou, train-train, trantran (train-train), trou-trou, tsé-tsé, tsouin-tsouin, tss-tss (onomatopée), tutu, yé-yé, youyou (canot), yo-yo, zem-zem (eau sainte de La Mecque), zinzin, zizi, zozo.

 

[En guise de jeu annexe nous suggérons aux lecteurs qui veulent se venger d’un ami, parent, premier de classe, professeur et autre casse-pied, de se saisir de cette liste et de la proposer à la victime en demandant (1) de placer correctement les traits d’union et (2) d’indiquer les pluriels de chaque mot. Bonjour l’ambiance ! – d’autant que les dictionnaires, sur ce sujet, ne s’accordent pas...]

 

D’autres mots doubles conviennent, de nature légèrement différente (il ne s’agit pas de la simple répétition d’un élément sonore). Ce sont les adverbes, substantifs et formes verbales qui suivent :

 

antant (participe présent du verbe anter, autre orthographe de enter, greffer), chèche (écharpe arabe), chercher, déradera (futur de dérader, sortir d’une rade), entent (présent de enter), même, rairai (futur de réer, bramer), rentrent, sassas (sasser : tamiser), tâta, tête, tète, tété (tous deux de téter), tchatcha (tchatcher : causer), testes (de tester), usus (droit du propriétaire).

 

Mais il n’y a pas que les mots doubles qui commencent et finissent par le même motif : on peut aussi intercaler une ou plusieurs lettres comme pour les adverbes quelque et mentalement, les infinitifs dérider, déroder (ôter les souches), hercher (ou herscher, pousser des wagonnets dans la mine). Le khalkha (langue de Mongolie) et abracadabra satisfont aussi à l’énoncé.

L’autre astuce consiste à conjuguer de manière appropriée certains verbes, raser produisant raseras. On trouve encore :

 

asséchasse, assemblasse, assénasse, assermentasse, éraillerai, raisonnerais, rentabilisèrent, rentamèrent, rentèrent, rentoilèrent, rentrayèrent, rentrèrent, rentrouvrent, rentrouvrirent, ronsardiserons (écrire à la manière de Ronsard), saisissais, sentissent.

 

C’est alors que viennent à l’esprit des mots comme face-à-face, tête-à-tête et goutte-à-goutte, ce dernier commençant et finissant par le même groupe de six lettres. Peut-on faire mieux avec sept ? Cette question serait l’équivalent français de l’anglo-saxon underground que nous cherchions tout à l’heure. Mais nous n’avons pas la réponse...

 

 

Il n’y a pas que le motif début/fin que l’on puisse tricoter avec des lettres. Observez cette citation du grand Georges, à quoi obéit-elle ?

 

Maxime dîne ce matin avec Anatole :

– Je me régale, dit-il à son ami. J’adore l’arôme de ce potage de légumes à l’anis. On y tâte l’acidité délicate du rutabaga, de l’acidulé rare du céleri rave caramélisé, de la sapidité paradoxale de la tomate des Yvelines, et une légère marinade de cari, basilic et origan a su le revigorer. Avec une matelote de mulet, une salade de macaronis, une carafe de Rosé du Médoc, une petite fine du Jura, le géromé, le livarot, un ananas, une banane, du café, ce sera super !

(« Gammes », les Nouvelles Littéraires, août 1979)

 

Vous avez deviné : voyelles et consonnes sont alternées. Certains appellent cette contrainte « la régularité de l’okapi » en hommage aux rayures de l’animal.

 

 

Le plus long mot français construit sur ce principe est généralisabilités (17 lettres). Il bat adiposo-génitales et aluminosilicates (16 lettres – le syndrome adiposo-génital associe obésité et insuffisance sexuelle, comme dit le Robert ; les aluminosilicates sont des sels de silice et d’alumine, précise le Larousse). Masolino da Panicale ? C’est un peintre de la Renaissance italienne, ami de Masaccio, dont l’okapi, long de 18 lettres, bat le 16 d’Anaximène de Milet...

 

 

Pour les mots construits sur le même motif mais commençant par une consonne (qualifions-les de type [CvCv] – et le type précédent de [vCvC]) –, il semble impossible de dépasser quinze unités, hors généralisabilités ; quelques exemples :

 

cytomégalovirus, déminéralisâmes, déminéralisâtes, monocotylédones, récapitulatives, séronégativités, séropositivités...

 

Nous venons de voir les constructions record en [vCvC] et [CvCv], pourquoi ne pas explorer les motifs doubles de type [vvCCvvCC] ou [CCvvCCvv] ? Et quid des motifs alternés triples, quadruples et quintuples ?

 

Une courte définition s’impose : celle de pureté de motif.

Le mot yoghourt est pur car il commence et finit par le groupe [vvCC]. Yuppie, eussiez et aigreur en revanche sont impurs, bien qu’intéressants – car ils trouveraient à s’insérer dans une suite infinie de type [...vCCvvCCvvC...].

 

Voici nos records.

 

Alternance de doublets :

 

- pur [vvCC] = oubliassions (unique 12-lettres) ;

- pur [CCvv] = broussailleurs (unique 14-lettres) ; 

- impur [...vCCvvC...] = emmouscaillions et chauffe-assiette (seuls 15-lettres ; emmouscailler signifie littéralement emmerder – pardon !) ; impur aussi est le goussaincourtois, habitant de Goussaincourt, unique 16-lettres !

 

Alternance de triplets :

 

- pur [vvvCCC] = ouests, ayants (seuls 6-lettres) ;

- pur [CCCvvv] = striai, striée (idem) ;

 

- impur [..vCCCvvvC..] = attrayants, effrayants, incroyants, oindraient (10 lettres).

 

 

Nous sommes armés maintenant pour parodier Perec en alternant les couples de voyelles et de consonnes :

 

Ainsi allait Piotr, ouvrier fier : « Faim, Léon, soif ! Fourguez-nous tout ! N’oubliez rien, ni Anjou frais, ni orgeat doux, ni un mousseux, ni un vouvray ! Chianti, alcool, fiasque, chais peu chauds ou froids, au choix ! Voudriez-vous nous pourvoir d’ail, pain, beurre ? Et de onze oxtails aussi, un couscous lyonnais, huit loempias, neuf maïs, quinze assiettées huître anguille et loup noir ? Viande : ah... pour moi vrai steak poivre, et pour vous, Léon, lièvre exquis ! Mie, brie, bleu, trois cougnous, quatre éclairs ; yoghourt au fruit, coing ! »

 

De même en alternant voyelles et consonnes par trois (les deux consonnes du début se lient à la dernière du texte pour le compte) :

 

Brieuc pria : « Eh, croyant Noé, offre aÿs, chai ambré, aulx, fayots, bœuf cru, oing d’oies, gnou empli aux gruaux, chou et plie, orphie et blé, yak, broyats d’œufs, guyots d’août, brie et bleu onctueux ! Choyons peyotls, ayons rye et thé ; ouf ! »

 

 

Proposez autour de vous l’original de Perec (ou les pastiches ci-dessus) et demandez quelle contrainte d’écriture ils cachent : casse-tête garanti !

 

Il n’y a pas de motif pur des types [vvvCCC] ou [CCCvvv] au-delà du triplet : nous vous laissons jusqu’au chapitre suivant pour trouver les records impurs du genre [..vvCCCvvvC..] en 4, 5 et 6 lettres.

 

 

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Les groupes de consonnes du chapitre précédent sont attestés dans :

 

pechblende (minerai contenant de l’uranium)

fichtre

background (arrière-plan)

rickshaw (pousse-pousse)

offshore

feldspath (minéral)

lambswool (laine)

pamphlet

camphre

zemstvo (assemblée locale dans la Russie tsariste)

mandchou

landgrave (titre princier en Allemagne)

kandjlar (poignard oriental)

sanskrit

silent-bloc (absorbeur de vibration)

yorkshire (chien)

gewurztraminer (vin)

asthme/isthme

pitchpin (pin d’Amérique)

patchwork

township (ghetto noir)

chows-chows.

 

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Note du 12 mai 2003. Voici ce que Nicolas Graner vient d’envoyer à la liste < Oulipo > :

 

Ils rengrénèrent leurs armes et réenregistrèrent ce blablabla : « Il faudrait que nous les assassinassions pendant qu’ils ronronneront sentimentalement en tête-à-tête sur un cha-cha-cha...»

 

Ce bref extrait d’un polar qui reste à écrire contient les deux mots français dans lesquels un bigramme apparaît quatre fois, et les six mots dans lesquels un trigramme apparaît trois fois. Il y a bien sûr des variations possibles sur les désinences. « Rengréner » signifie regarnir de graines, ici au sens figuré recharger une arme (acception non attestée :).

 

On pourrait y ajouter quelques centaines de mots où un bigramme apparaît trois fois.

 

Pour des groupes de plus de trois lettres, il faut se contenter de deux occurrences, mais on tombe très vite sur des mots bègues style bouche-à-bouche ou quatre-vingt-quatre moins intéressants. On peut ainsi répéter jusqu’à huit lettres avec survolteurs-dévolteurs. Le plus long dans lequel la répétition d’une séquence est fortuite et non le fruit d’un bégaiement est passionnassions (ou dépassionnassions) avec six lettres.

 

Impec’ Nicolas, merci !

 

(et merci aussi à l’inépuisable Jean-Charles Meyrignac !)

 

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Lire un texte bègue de Michel Istre ? Hop, hop !