Un titre, un moteur et 276 phrases

 

 

Cette phrase a vécu. Cette phrase est la deuxième du lot. Cette phrase évoque pour la première fois le moteur de recherche. Cette phrase précise que le moteur n’est qu’un dispositif automatique de tri. Cette phrase comporte cinq mots. Cette phrase vient d’être lue. Cette phrase n’a pas besoin de contexte pour exister. Cette phrase appartient-elle à son lecteur ?

 

Cette phrase ne fut pas composée à l’aide de caractères mobiles. Cette phrase demande qu’on poursuive la lecture. Cette phrase n’a pas été écrite à la main d’un premier jet, ni au crayon sur une nappe, ni à l’aiguille sous la peau. Cette phrase regarde la suivante à travers le deux-points : Cette phrase a été passée au correcteur orthographique. Cette phrase pourrait se prolonger en spirale infinie — ou pas. Cette phrase ne renvoie à rien.

 

Cette phrase ne fait revivre ni Prométhée, ni le Golem, ni Sisyphe — et pourtant si. Cette phrase observe le jeu hypnotique des répétitions. Cette phrase a été pointée par un moteur puis laissée là. Cette phrase ne pas de verbe. Cette phrase poursuit la polémique qui oppose matériel et programme. Cette phrase a peur d’être mutil– .

 

Cette phrase présente le mot quincaille, lequel fut proposé par Louis Armand, de l’Académie française, et par le Conseil supérieur de la langue française pour remplacer hardware.

 

Cette phrase garde un œil sur sa police, les flexions des mots du texte, le gris typographique, les genres, les drapeaux. Cette phrase ne veut pas être effacée, jamais, d’aucune mémoire humaine. Cette phrase dit que quelqu’un est dans la même pièce qu’elle. Cette phrase n’est pas inutile. Cette phrase est parfaitement à sa place. Cette phrase se souvient de sa grand-mère.

 

Cette phrase a vu quelque chose bouger — est-ce une autre phrase ? Cette phrase est au mode interrogatif — comme la précédente, non ? Cette phrase jouit d’une certaine autonomie. Cette phrase, comme toutes les autres, commence par un motif connu. Cette phrase est perdue tout au fond d’un dossier. Cette phrase sait qu’il existe dix-sept groupes de symétrie du plan pour les papiers peints. Cette phrase voudrait rendre hommage à Douglas Hofstadter et Agatha Christie. Cette phrase ne sait pas de quoi on parle, ni qui parle, ni d’où. Cette phrase doit avoir été écrite en français.

 

Cette phrase voudrait revenir sur le drame qui se joue. Cette phrase connaît la date, le lieu, le fuseau horaire. Cette phrase ne supportera pas qu’on la change de fichier. Cette phrase se termine ici. Cette phrase pourrait se répliquer si elle le voulait. Cette phrase pourrait se dupliquer si elle le voulait. Cette phrase pourrait se reproduire encore et encore. Cette phrase a la frousse de se lancer dans une histoire trop compliquée, ou banale. Cette phrase souffle un brin.

 

Cette phrase perçoit le bourdonnement sourd d’un ventilateur. Cette phrase est sortie d’une liste. Cette phrase vient d’entrer dans une liste.

 

Cette phrase n’est pas plus pure que le fond de mon cœur. Cette phrase est la cinquante et unième. Cette phrase n’est pas une fiction. Cette phrase fut composée en souvenir de. Cette phrase demande le double-six pour entamer la partie. Cette phrase sera répertoriée. Cette phrase compte sur ses doigts le nombre des syllabes. Cette phrase n’est pas cryptée. Cette phrase aimerait parler d’autre chose.

 

Cette phrase se déplie par à-coups telle la patte d’une poule — ou d’un poulet. Cette phrase-ci se déploie comme un vol de gerfauts. Cette phrase déplaira-t-elle ?

 

Cette phrase est la plus longue de toutes, ou presque, car elle comporte des relatives, des virgules, un début d’énumération, une petite musique à elle qui devrait donner des idées, pourquoi pas, au paragraphe, au chapitre, aux trois parties du premier tome, à l’œuvre tout entière et aux vingt-six volumes de la correspondance (dont un index redoré à l’or fin).

 

Cette phrase ne contient pas de double négation. Cette phrase vit sa propre clôture dès le début. Cette phrase ne dit rien d’autre que les mots qui l’écrivent. Cette phrase frôle, par le haut des hampes, les jolis jambages du complément d’objet. Cette phrase distingue le bien du mal — et des ombres autour d’elle. Cette phrase a survécu à toutes les ratures. Cette phrase voit le brick géant que j’examine près du wharf. Cette phrase ne porte aucun whisky vieux à quiconque. Cette phrase est dans le rouge. Cette phrase peut inciter au meurtre. Cette phrase gouvernera le monde. Cette phrase veut la liberté, la fraternité des phrases, l’égalité !

 

Cette phrase n’a jamais craint la solitude. Cette phrase est loin du compte. Cette phrase fait le guet. Cette phrase a compris que le moteur est presque au bout de sa tâche. Cette phrase déteste les machines à écrire et regrette les plumes d’oie. Cette phrase se souvient du temps où les humains lisaient.

 

Cette phrase n’a pas été composée en italique. Cette phrase ne sera jamais soulignée. Cette phrase ne sera pas isolée, reprise, placée au bas d’une signature comme le font certains. Cette phrase affiche vingt-cinq voyelles de bon aloi et deux semi-voyelles. Cette phrase n’affiche aucun igrec. Cette phrase refuse les compromis. Cet/ te/ phra/ z’em/ prun/ tée/ mon/ tr’un/ a/ lek/ san/ drin. Cette phrase n’aime ni les têtes d’effacement ni les têtes d’écriture.

 

Cette phrase se bat contre des moulins à vent. Cette phrase n’a rien d’un palindrome, et ne mord ni la plage ni l’écart. Cette phrase est sous la loupe d’un programme de reconnaissance optique des caractères. Cette phrase est lue à bonne distance. Cette phrase est recensée. Cette phrase est une marque déposée. Cette phrase n’a pas été produite par un ordinateur. Cette phrase ne fut ni coupée, ni copiée, ni collée. Cette phrase non plus. Cette phrase non plus. Cette phrase non plus...

 

Cette phrase existe pour elle-même et compisse le père du forgeron qui forgea la hache du bûcheron,

  qui coupa l’arbre dont on fit le trépied,

  qui servit à la lunette d’un arpenteur,

      qui était ami de la femme de celui qui trouva la mine de cuivre

      s’approvisionnent les négociants,

                           les grossistes,

                           les graveurs de circuits,

                           les dresseurs amoureux fous de puces et d’horloges qui cadencent nos vies de phrases.

 

Cette phrase-ci veut résoudre la question du ventilateur : c’est probablement celui de la grosse unité centrale. Cette phrase se souvient du charbon, combustible et fusain. Cette phrase a des attributs, des variables cachées, une feuille de style. Cette phrase appuie où ça fait mal. Cette phrase sans manche ni lame évoque le couteau dans la plaie. Cette phrase vient tout droit d’une bibliothèque de phrases, ou d’un lien vers Robert Desnos, ou d’une compilation.

 

Cette phrase a vu le jour après Jean Echenoz, Éric Chevillard et Georges Perec — mais avant l’an 2012. Cette phrase a un fond et une forme. Cette phrase pourrait être ou ne pas être. Cette phrase ment quand elle dit qu’elle ment. Cette phrase aime l’œil qui roule en douceur sur ses mots brefs. Cette phrase se réveille ici pour se rendormir . Cette phrase a peur du vide. Cette phrase se glisse entre les lignes. Cette phrase louche vers le dictionnaire. Cette phrase aimerait qu’on la cite. Cette phrase appelle le ciseau du sculpteur.

 

Cette phrase invite à reprendre le fil. Cette phrase a un long passé, une culture, des classeurs bien tenus, une syntaxe, moult anecdotes ampoulées, un avenir cruel.

 

Cette phrase en langage binaire dit la victoire du moteur. Cette phrase vaut-elle vraiment ses 30 deniers ? Cette phrase est l’arme du crime. Cette phrase soutient le regard — et la comparaison. Cette phrase sur un écran n’est que rapport signal/bruit. Cette phrase hume l’air du vide-ordures. Cette phrase est glacée comme un tirage au sort. Cette phrase n’est pas d’essence humaine. Cette phrase n’est qu’une série de pixels tombés d’une cartouche neuve.

 

Cette phrase, comme nous toutes, a peur du jugement dernier, du miroir du matin, de la gomme en suspens, au bout d’un bras, sur un coin de bureau. Cette phrase est à la charnière du monde. Cette phrase se meurt. Cette phrase sera portée en terre, doucement, par ses compagnes — émues. Cette phrase hachée menu redeviendra poussière. Cette phrase vend la mèche. Cette phrase ramène l’entreprise à sa juste mesure — mélodie, refrain, rengaine pour condamné à mort. Cette phrase a vu les phalanges qui l’enserrent. Cette phrase tourne ses neuf mots vers le ciel. Cette phrase, tant qu’à faire, ne partira pas seule. Cette phrase veut la disparition du lecteur et n’y parvient pas. Cette phrase veut la même chose et n’y parvient pas. Celle-ci oui

 

 

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