« Je buvais pour noyer ma peine, mais cette garce a appris à nager. »

 

 

[Tiré d’un article de Pascale Nivelle paru le 11 septembre 2010 dans Libé]

 

En février 1939, invitée par les surréalistes à exposer à Paris, la belle révolutionnaire dans ses robes de Coyoacán est encensée par André Breton : « L’art de Frida Kahlo est un ruban autour d’une bombe ! » Mais Frida la rebelle assassine ses hôtes — voici ce qu’elle écrit des surréalistes le 16 février 1939 à l’un de ses amants, Nickolas Muray [c’est le photographe qui l’a immortalisée, chaque année ou presque, sur un lit d’hôpital, la tête suspendue à une potence, en traction. Frida se servait des clichés pour ses tableaux, qu’elle devait souvent peindre couchée. Elle utilisait les photos comme modèles, et dessinait ses autoportraits dans les jours les plus durs, un miroir suspendu au-dessus de son lit] :

 

« Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce f. de p. de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie n’était pas du tout prête pour l’exposition, d’ailleurs ça fait belle lurette que Breton n’a plus de galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Lui, il a tout de suite récupéré mes tableaux et essayé de trouver une galerie. Finalement, une galerie qui s’appelle "Pierre Colle" a accepté cette maudite exposition. Et voilà que maintenant Breton veut exposer, à côté de mes tableaux, 14 portraits du XIXe siècle (mexicains), ainsi que 32 photos d’Alvarez Bravo et plein d’objets populaires qu’il a achetés sur les marchés du Mexique, un bric-à-brac de vieilleries, qu’est-ce que tu dis de ça ? La galerie est censée être prête pour le 15 mars. Sauf qu’il faut restaurer les quatorze huiles du XIXe et cette maudite restauration va prendre tout un mois. J’ai dû prêter à Breton 200 biffetons (dollars) pour la restauration parce qu’il n’a pas un sou. »

 

(...)

 

« Bon, il y quelques jours, une fois que tout était plus ou moins réglé, comme je te l’ai expliqué, j’ai appris par Breton que l’associé de Pierre Colle, un vieux bâtard et fils de pute, avait vu mes tableaux et considéré qu’il ne pourrait en exposer que deux, parce que les autres sont trop "choquants" pour le public !! J’aurais voulu tuer ce gars et le bouffer ensuite, mais je suis tellement malade et fatiguée de toute cette affaire que j’ai décidé de tout envoyer au diable et de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Tu n’as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits "intellectuels" de mes deux. C’est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca que de devoir m’associer à ces putains d’"artistes" parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des "cafés", parlent sans discontinuer de la "culture", de "l’art", de la "révolution" et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité. Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger, vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le "génie" de ces "artistes". De la merde, rien que la merde, voilà ce qu’ils sont. Je ne vous ai jamais vus, ni Diego ni toi, gaspiller votre temps en commérages idiots et discussions "intellectuelles" ; voilà pourquoi vous êtes des hommes, des vrais, et pas des artistes minables. Bordel, ça valait la peine de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied et pourquoi ces gens – ces bons à rien – sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini. »

 

(...)

 

Frida Kahlo, ses photos – Images en Manœuvres éditions, 496 pp.

 

Cinquante ans après la mort de l’artiste mexicaine, la Maison bleue où elle vécut recelait encore des milliers de lettres, jouets et clichés, restés emmurés dans une salle de bains. Un beau livre de 401 photos ouvre son album de famille.

 

 

 

 

[Original anglais de la lettre ci-dessus] :

 

Besides this damn sickness I had the lousiest luck since I arrived. In first place the question of the exhibition is all a damn mess. Until I came the paintings were still in the customs house, because the s. of a b. of Breton didn’t take the trouble to get them out. The photographs which you sent ages ago, he never receivedso he says – The gallery was not arranged for the exhibit at all and Breton has no gallery of his own long ago. So I had to wait days and days just like an idiot till I met Marcel Duchamp (a marvelous painter) who is the only one who has his feet on the earth, among all this bunch of coocoo lunatic son of bitches of the surrealists. He immediately got my paintings out and tried to find a gallery.

 

Finally there was a gallery called “Pierre Colle” which accepted the damn exhibition. Now, Breton wants to exhibit together with my paintings, 14 portraits of the XIX century (Mexicans) about 32 photographs of Alvarez Bravo, and lots of popular objects which he bought on the markets of Mexico – all this junk, can you beat that? For the 15th of March the gallery supposed to be ready. But... the 14 oils of the XIX Century must be restored and the damn restoration takes a whole month. I had to lend to Breton 200 buck (Dlls) for the restoration because he doesn’t have a penny. (I sent a cable to Diego telling him the situation and telling that I lended to Breton that money – he was furious, but now is done and I have nothing to do about it). I still have money to stay here till the beginning of March so I don’t have to worry so much.

 

Well, after things were more or less settled as I told you, few days ago Breton told me that the associated of Pierre Colle, an old bastard and son of a bitch, saw my paintings and found that only two were possible to be shown, because the rest are too “shocking” for the public!! I could of kill that guy and eat it afterwards, but I am so sick and tired of the whole affair that... I have decided to send every thing to hell, and scram from this rotten Paris before I get nuts myself. You have no idea the kind of bitches these people are. They make me vomit. They are so damnintellectual” and rotten that I can’t stand them any more. It is really too much for my character. I rather sit on the floor in the market of Toluca and sell tortillas than to have anything to do with thoseartisticbitches of Paris. They sit for hours on the “cafeswarming their precious behinds, and talk without stopping about “culture” “art” “revolution” and so on and so forth, thinking themselves the gods of the world, dreaming the most fantastic nonsenses, and poisoning the air with theories and theories that never come true. Next morning, they don’t have anything to eat in their houses because none of them work and they live as parasites of the bunch of rich bitches who admire theirgenius” of “artists”. Shit and only shit is what they are. I never seen Diego or you, wasting their time on stupid gossip and “intellectual” discussions. that is why you are real men and not lousyartists” - gee weez! It was worthwhile to come here only to see why Europe is rottening, why all this people – good for nothing – are the cause of all the Hitlers and Mussolinis.