« Cet homme est-il pour vous ? »

— une enquête de Noëlle Clou pour Gael

[Publiée en août 2003 p.96]

 

 

  « Tiens, je l’ai déjà rencontré quelque part, celui-là, mais où ? C’était à la fête des 30 ans d’Anne-Charlotte, non ? Ou alors au square, l’autre midi — il était plié en deux pour photographier les moineaux qui prenaient leur bain de sable, non ? À moins qu’on ne se soit croisés à la gym le jour où l’eau chaude est tombée en panne ? » — Bref, vous vous êtes souri, parlé quelques instants et le courant a eu l’air de passer — mais on ne sait jamais ! Vous avez donc pris rendez-vous pour déjeuner à deux : une terrasse tranquille, demain jeudi vers 13 heures, à l’écart du centre, on annonce du soleil, inch’allah ! ...

... Et voilà, c’est dans vingt minutes, vous avez tout juste le temps de réviser les anti-sèches que Noëlle Clou a préparées pour vous : cet homme vous mérite-t-il ? est-il fait pour vous ? Comment trouver la perle rare parmi tous les bivalves un peu mous qui rôdent ?

 

Quelques indices avant d’y aller franco...

 

 

Première piste : le prénom

 

S’il s’appelle Sébastien, Nicolas, Frédéric, Stéphane ou Christophe c’est qu’il a trente ans et des parents sans aucune imagination — c’étaient les prénoms les plus courants à l’époque ! S’il s’appelle Logan, Dylan, Bryan ou Jordan c’est qu’on regardait beaucoup la télé en famille — et plutôt les séries US nœud-noeud genre Dallas ou Dynasty ! À moins qu’il ne soit d’origine étrangère, le Killian, why not, un rien d’exotisme c’est de la conversation en plus ! En revanche si votre rendez-vous s’appelle Jean-Eudes ou Enguerrand-Tugdual les choses mettront plus de temps à se décoincer — les fins de races étant souvent trop ou trop peu... Attention, le prénom c’est juste un indice, on laisse les écoutilles ouvertes en grand !

 

Deuxième piste, ses vêtements

 

Pierrick a sûrement fait un effort pour vous. Il a mis sa super veste déstructurée de chez Von Schmürzi qui lui a coûté bonbon, même en solde. Rien à dire, c’est normal. Mais le diable est dans les détails, comme on sait, et la chaussette en plastique qui tire-bouchonne ne ment pas ! Ni les grands carreaux de la chemise cow-boy qui font redneck ou pétrolier texan. Visez aussi les poignets du gugusse : la grosse montre de plongée en nanotubes de carbone ou le pavé de cristal qui donne l’heure à Katmandou sont riches d’enseignements sur leur propriétaire ! Florian, lui, porte un anneau discret au bout de la langue, un pendentif ethnique bonnes vibrations bat contre sa belle toison blonde, et les rayures de sa chemise seront à la mode dans dix ans : pourquoi pas ?

 

Troisième piste, avec quoi il vient

 

Pour frimer, Rodrigo se la pète souvent façon Père Noël : il arrive les bras chargés, téléphone portable qui-envoie-des-vidéos-en-3D, lunettes de soleil grand-prix-de-Monaco, magazines russes, porte-clefs Maserati, petite plaquette de médicaments qui dépasse de la pochette — « C’est rien, juste du Farmaxon, des suppléments vitaminés pour tenir le coup, on a des très, très gros trucs au bureau pour l’instant ! »... George (sans « s » au bout, c’est un prénom anglais, sweetie), George, en revanche, débarque comme Jésus dans la crèche : pas d’accessoires qui tuent, même pas d’alliance, juste un sourire craquant sur un minois bronzé : mmmmh, c’est bon les pages vierges sur lesquelles on peut écrire ce qu’on veut — en imaginant la suite !

 

Quatrième piste, comment il est arrivé là

 

Si Théo est arrivé à pied au déjeuner c’est que vous avez à faire à un fou, à un intégriste de l’écologie (un Khmer vert comme on dit) ou à un type qui ne surveille pas sa jauge d’essence ! Parce que se taper la banlieue à pinces, faut la santé ou l’amour chevillé au corps ! Surtout que la petite terrasse bucolique n’est même pas sur le plan, « on est à cheval sur deux communes », ni près des transports en commun, « il y a un train de marchandises qui passe là toutes les heures, c’est tout » ! Valentin, en revanche, est avec la Golf du bureau montée sur GPS. Il a des échantillons dans le coffre, certes, et le pauvre devra trouver de l’ombre dans le parking pour protéger sa cargaison — mais il est motorisé au moins ! Qui choisir ? On verra plus tard...

 

Cinquième piste, les premiers mots

 

Vous la jouerez « Muette de Portici » au début, belle Napolitaine aux lèvres scellées tout à l’écoute du Monsieur. Car le babil des garçons est plein d’indications. Si Maxime, par exemple, vous regarde à peine, ne daigne même pas s’asseoir, cherche un serveur des yeux pour qu’on lui fournisse un cendrier (un bottin de téléphone, un verre d’eau, des sucrettes) : aïe, la partie s’annonce serrée ! Car s’il a déjà parlé à la moitié des humains rassemblés là sans vous adresser la parole, c’est qu’il a d’autres choses en tête : vous n’êtes malheureusement qu’un prénom à la date d’aujourd’hui dans son agenda... Lucas en revanche vous complimente illico, s’informe de votre hâle de sirène, remarque le petit accessoire chic que vous aviez délicatement choisi le matin même dans la boîte à bijoux... C’est trop bon ! Encore !

 

Sixième piste, la conversation

 

Sortir au forceps trois borborygmes à Jean-Paul, c’est épuisant. Et ça promet pour le passage à l’heure d’hiver, fin octobre, quand les soirées s’allongeront ! Laissez-le rompre la glace et notez bien le thème qu’il choisit. Si c’est son boulot, c’est galère. Ça vous permet certes de situer le bonhomme, de voir un peu la branche d’activité, mais bon, vous avez toutes les chances que ce soit aussi intéressant qu’une promo pour le steak haché de kangourou ! S’il évoque sa santé c’est que ça ne va pas fort : fuyez, sauf à vous rêver en Mère-Teresa-des-baxters ! S’il vous branche en moins de deux sur sa famille, sa mère, son beauf, leurs pompes et leurs frasques, pincez-vous le nez : ce gars n’est pas sorti du stade oral, il doit encore tuer Papa et jeter le photomaton de Môman qui traîne dans son portefeuille... Hugo, lui, semble agité : il est toujours sous le coup du scandaleux hors-jeu qui priva Manchester de finale européenne — et ça le rend malade, ces arbitres. Le monde est trop pourri ! Pépère connaît tout sur David Beckham et rien sur le rasoir d’Occam ? Zappez !

 

Septième piste, ce qu’il mange

 

Quand on donne rendez-vous ainsi, en tête-à-tête pour la première fois, on évite certains plats tue-l’amour. Si Angelo se jette sur l’écrasé d’échalotes à l’ail de Provence, puis sur les tripes au persil dans leur purée d’oignons, enfin sur la louche de camembert du terroir moulée à la ferme, c’est qu’il n’a plus mangé depuis le marathon de New York au moins ! Sinon il va falloir consulter, mon pauvre chéri, et régler tous ces problèmes avec ton joli corps ! Car il aurait pu se brider, le glouton, et déjeuner léger comme Raphaël : salade italienne et vin toscan (coupés de souvenirs de vacances siciliennes) ; assiette de provola dolce, mozzarella, Bel Paese ; puis le ristretto, l’addition et le baise-main classieux au semi garde-à-vous ! — Eh, les garçons, faites au moins semblant au début ! Il sera toujours temps dans six mois d’aller piocher la troisième bière dans le frigo avec le plateau-TV !

 

Huitième piste, ses opinions

 

Il y a des sujets qui fâchent — ou qui fâcheront. Décelez-les fissa sous peine de crash frontal. Allez vite voir si Rudy préfère le kung-fu de Van Damme aux sourcils de Nicholson. Idem pour ses lectures — lit-il, d’ailleurs ? Ses petites lunettes rondes « Harry Potter » c’est peut-être juste pour faire genre... C’est vrai, on n’est pas obligé de parler politique à table — mais ça peut éclairer : si le lascar collectionne les ceinturons allemands de la seconde guerre mondiale, il risque d’y avoir assez schnell un kleines problem entre vous ! Jonathan, lui, est plus prudent : il vous renvoie les questions, ne s’engage pas trop, contextualise ses goûts avec un art consommé de l’esquive. Allez, c’est peut-être lui qui a raison, inutile de se tirer dessus au fusil d’assaut dès la première rencontre !

 

Neuvième piste : le langage du corps

 

Si vous arrivez la première sur la terrasse, occupez une place qui vous permette de surveiller l’entrée. Ainsi verrez-vous marcher Alexandre vers vous. Plus tard vous lui observerez les mains, puis sa façon de croiser les jambes, de se pencher en arrière, de se retourner pour appeler un garçon... Il y a les élégants de nature et les autres, les british et les rustauds, les aériens et les plus lourds que l’air. Attention, les adorables et les gentils sont dans les deux camps — de même que les goujats donnent parfois le change –, mais c’est tellement plus plaisant au début un type délicat, ouvert et sûr de lui ! Est-ce que ça existe, d’ailleurs ?!

 

Dixième piste : c’est fini

 

Ça y est, son dessert derrière la cravate et la carte Visa bien rangée, Younès a repris ses journaux, sa pipe et le portable qu’il vient de rallumer. Est-il toujours là ? Vous raccompagne-t-il en regardant ailleurs ? La blondasse de la 5, par exemple, qui faisait tout un show avec ses bretelles ? Évoque-t-il à mi-mot un chantier de dix-huit mois aux îles Féroé ? — Tous les hommes vous diront qu’ils ont passé un excellent déjeuner, qu’ils furent ravis de cette heure avec vous, bla-bla-bla. La vraie nature des adieux est un bon moyen de vérifier. S’il vous quitte en disant : « On s’e-maile, Valentine, d’accord ? », c’est très mal emmanché — surtout si vous ne lui avez jamais donné ledit e-mail et que vous vous appelez Sophie... S’il vous gratifie d’un « pas donné, le boui-boui, la vache ! » tout en regardant la TVA, c’est qu’il vous a déjà oubliée, vous et vos goûts de luxe... S’il essaie de rentrer dans sa voiture par le coffre, c’est que votre conversation ne l’a pas saoulé — mais bien le Montrachet du patron... S’il vous tend la main de manière virile, vous broyant cinq doigts, quatorze phalanges et quelques métacarpes, c’est qu’il veut vite retrouver ses potes du rugby, nettement plus rassurants qu’une femme libre comme vous... En revanche, s’il vous dévisse l’âme par un au revoir murmuré dans le blanc des yeux suivi d’un mini-bisou au coin des lèvres... c’est vous qui l’appellerez !

 

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Comment les reconnaître en un coup d’œil :

 

Le macho :

 

...regarde toujours s’il n’y a pas mieux que vous dans l’assemblée ; n’en rame pas une pour mettre la table, servir sa voisine, débarrasser, ouvrir les portes, ranger derrière soi ; parle fort, sait tout mieux que tout le monde, vous coupe sans arrêt ; reluque vos formes comme un maquignon, est pressé, veut conclure, pense déjà à sa conquête suivante ; grande gueule avec les faibles, carpette avec les forts ; dispense des blagues sur les blondes vieilles comme Mathusalem — et vous êtes blonde, justement ; super-maladroit, casse tout, essaie de réparer, aggrave son cas ; bombe le torse, ne ferme jamais les jambes quand il est assis, gratte en public ce qui fait sa fierté ; bâfre et donne des leçons de maintien urbi et orbi ; roule en voiture comme un fêlé puis les escargots pour mater les filles aux terrasses ; a la chemise ouverte toute l’année ; affiche un bronzage ridicule du genre je suis resté coincé dans le grille-pain ; rappelle discrètement le prix des cadeaux qu’il vient de faire ; amuse les dix premiers jours — et vous ruine les dix années d’après...

 

Le blaireau :

 

...est tellement à côté de ses pompes qu’on le mettrait dans un herbier ; s’habille toujours à la mode d’avant-guerre sans le faire exprès ; s’imagine des trucs sur vous complètement ouf ; n’a jamais une thune ; ne sait pas qu’on est passé à l’euro ; s’attaque toujours à la plus jolie du groupe sans complexe ; raconte des trucs totalement inintéressants — et mal ; bave un peu ; découvre ce que tout le monde a lu dans les journaux six mois auparavant ; mange ses spaghettis à la cuiller ; fait des fixettes sur certaines personnes ; déjoue plusieurs complots par jour ; conduit comme un crabe en toute inconscience ; collectionne des trucs dont tout le monde se moque ; vous colle ; vous laisse des petits mots dans la boîte ; vous pourrit le week-end tout de suite, le samedi matin à l’aube, en vous demandant au téléphone si vous avez bien dormi...

 

Le psycho :

 

Il s’intéresse à vous pour votre bien même si vous ne lui avez rien demandé ; il est parano ; il rase les murs et se retourne souvent ; il inspecte son assiette et la vôtre sous toutes les coutures avant de commencer à manger ; il essuie discrètement son verre avant de boire ; il connaît votre garde-robe par cœur ; il vous rappelle des souvenirs insignifiants complètement oubliés ; il est affreusement jaloux ; il s’habille tellement neutre qu’il en deviendrait à la mode ; quand il se met à rire on s’inquiète ; il n’aime pas qu’on le photographie — est d’ailleurs toujours absent des photos de groupe ; fait mine d’en savoir long ; n’est jamais dupe ; connaît des trucs secrets sur les filles ; n’embrasse pas sur la joue mais dans le vide ; ne vote pas ; compare les prix pendant des plombes ; se prend des râteaux sans arrêt ; vénère sa maman qu’il cite deux fois par jour ; intéressera les infirmières, les allumées zen et les numismates.

 

Le sportivo :

 

...pète la testostérone même en plein hiver ; porte toujours des t-shirt publicitaires pour des salles de gym, des trekkings dans le Sahara ou des triathlons au pôle Nord ; vous regarde avec des yeux brillants si vous courez le 100 mètres en 13 secondes ; est très galant mais un peu brusque (vous a déjà cassé trois chaises et une carafe de famille) ; va se coucher à dix heures du soir ; ne boit pas, ne fume pas et vous prend la tête avec la nourriture bio ; n’a aucune sexualité et rougit comme une jeune fille quand on lui touche la main ; écrit du pied gauche ; résout tous les problèmes en faisant un jogging ; est un peu naïf ; déménage souvent les copains ; aime que vous soyez habillée sport ; a l’air d’un pingouin dès qu’il ne porte plus ses rangers ; paraît solide et costaud mais peut craquer pour une bêtise ; sourit toujours quand il vous voit ; met de l’ambiance partout avec ses histoires d’Everest, de doigt de pied qu’il a fallu amputer, de coup de soleil pris sur la langue tellement les UV cognaient, etc.

 

L’intello :

 

...est toujours en train de courir les expos pour vous ; connaît tous les musées d’Europe ; lit les suppléments littéraires de quelques journaux suédois, portugais et turcs ; ne vous écoute pas — sauf pour rectifier ce que vous dites ; fait des comparaisons sans arrêt ; s’égare dans les raisonnements ; a toujours une petite idée ; consulte sa montre, son agenda, son planning toutes les dix minutes ; vernit ce soir, déjeune demain, cocktaile dans une heure ; connaît Machin, n’est pas d’accord avec Truc, vise la fonction d’Untel ; aime les belles femmes comme vous ; et vous veut d’ailleurs à son bras pour toutes ses sorties ; est incapable de remplacer une ampoule ; n’a rien dans son frigo ; habite un deux-pièces minuscule encombré de bouquins ; vous laisse conduire pour mieux parler ; vous saoule d’ailleurs de mots la plupart du temps ; est un peu coincé en amour mais s’en tire toujours en vous faisant rire ; connaît du monde ; n’ennuie jamais ; fume comme un pompier ; cultive son look de jeune antiquaire sur la brèche...

 

Le rigolo :

 

On l’invite partout ; vous le repérez vite parce qu’il raconte des anecdotes pas possibles au milieu d’un cercle d’amis ; toutes les filles ont des Kleenex à la main tellement elles se gondolent ; il a le visage ouvert, les yeux mobiles et rieurs ; les jeux de mots laids (mollets) ne lui font pas peur, il en abuse et on pardonne ; son physique semble banal mais il bouge comme un dieu — vous imitant le douanier suisse, le mafieux russe ou la danseuse nue comme s’ils s’étaient réincarnés ; il est physionomiste, n’oublie jamais un visage, trouve toujours à le comparer avec celui d’une célébrité ; il vous aime en secret mais vous rend huit centimètres et ça le bloque ; il angoisse dans l’intimité et se shoote aux médicaments — on le consommera donc dehors, en public, entre amis, sous peine de déprime contagieuse ; il s’habille passe-partout mais avec un détail original : cravate fluo, fleur à la boutonnière, chaussettes dépareillées ; son travail le fait voyager et l’on attend son retour comme celui du Messie pour entendre la suite de ses aventures...

 

Le perfecto :

 

C’est un peu le panachage de toutes ces personnalités-là — mais uniquement les vertus, merci ! Eh bien vous savez quoi ? Ça n’existe pas ! Ou plus... Les rares exemplaires sont déjà pris, et les autres sont trop jeunes... Peut-être qu’en allant voir du côté des femmes, finalement...

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