« Foirer son couple en 15 leçons ! »

— une enquête de Noëlle Clou pour Gael

[Publiée en novembre 2003 p.150]

 

 

1. Pour faire capoter à coup sûr une relation amoureuse il faut s’y atteler dès le début. En pincer à mort pour la mauvaise personne par exemple. Cela peut être quelqu’un qui soit exactement comme vous (mêmes goûts, mêmes couleurs) ; quelqu’un qui soit à l’opposé total de vous (feu, glace) ; quelqu’un qui vous rappelle sans cesse votre père / votre mère / psy / donneur de sperme idéal / avocat /  présentateur de télé chéri / prof de religion / acteur préféré / Tarzan des faubourgs... Un bon moyen d’aller droit dans le mur consiste à se convaincre que malgré toutes les divergences « le mariage résoudra tout ».

 

2. Passer le plus de temps possible ensemble et faire le vide autour de soi : adieu amis, famille, relations de travail, voisins, voisines : on ferme les écoutilles, on serre les boulons, on marine bien dans son jus avec le thermostat sur max. Pendant le huis-clos, commencer toutes les phrases par « Moi je... ». Ne pas écouter l’autre, le couper par des « Ça me rappelle une histoire qui m’est arrivée, je... ». Si ça ne suffit pas, raconter ses rêves pendant des heures avec un air illuminé. Plus quelques souvenirs d’enfance aussi passionnants qu’une première tétine. Après un mois de ce régime en circuit fermé c’est Tchernobyl – pas le réacteur n°4 mais toute la centrale et les annexes.

 

3. N’avoir aucune pudeur, jamais ! C’est le meilleur moyen pour dégoûter rapidement votre partenaire. En purgeant votre tuyauterie intime la porte ouverte et sans fard, en vous promenant toujours nue et sans motif dans l’appartement, vous ôterez les dernières parcelles de mystère qui faisaient votre charme. Aborder ensuite en toute décontraction l’étape suivante, dite de l’« ultra-nature », qui consiste à retourner à l’état sauvage au nom de la lutte contre l’artificialité. Boire donc de la bière et roter en public, noyer son menton dans les corn-flakes et manger bruyamment, se gratter le bas du dos, bâiller dans la figure de Julien juste après le reblochon... Le week-end étant sacré, bien sûr, ne pas se laver avant midi, enfiler la sortie de bain qui sert aussi de couverture au chien, se coiffer avec une fourchette. De même pour les soins du corps : à quoi bon se maquiller, s’épiler ou se parfumer ? De toute façon mon mec s’en fout, pas vrai Frank ? Frank, tu m’entends ?! Ohé, Frank, reviens ! – burp – pardon !

 

4. Critiquer. Critiquer sans cesse. Broyer du noir. Schopenhauer disait : « la vie oscille comme un pendule, de gauche à droite, de la souffrance à l’ennui » – alors à quoi bon s’enthousiasmer ? Il vaut mieux ricaner, voir des complots partout, jouer à celle qui en sait plus... et désenchanter le monde avec application. Les langues de vipère ont la peau dure, Cassandre est une figure majeure de notre temps et les pisse-froid font de vieux os. Leur credo ? Discréditer... Gramsci balançait entre le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté :  c’est encore trop, Lisette ! À nous les rancœurs recuites dans des casseroles éraillées ! Une autre façon, pas idiote, de critiquer, consiste à se dévaloriser soi-même. C’est bien – à condition de ne pas en tirer gloire mais d’inciter l’autre à vous regarder vraiment d’un autre œil : quand Jimmy aura compris que vous êtes une casse-couille de première, il ira chercher ailleurs un clown moins lugubre.

 

5. Se constituer, dès le début de la relation, des territoires-forteresse inexpugnables et bien délimités : moi c’est les repas, la cuisine, la salle de bain, les enfants, – et toi c’est le garage, l’ordinateur, les poubelles et les factures. Ou le contraire. Avoir ensuite droit de vie et de mort sur son territoire : tu t’approches de cette poêle, Sergio, et je te tue ! Bas les pattes, n’ajoute rien à la sauce, c’est mon domaine ici, dégage, ne tourne pas comme une mouche autour des desserts, sors de la salle de bain, ce n’est pas ton tour, utilise ta serviette, la bleue, pas la rose, je te l’ai dit cent fois, ne prends pas le savon des enfants, va faire pipi en bas ! Et ne ferme pas cette fenêtre : tu m’as demandé mon avis avant ?! Quelques mois comme ça tournent vite au massacre, surtout en cas de double-bind (injonction contradictoire) : « Tu aurais pu ôter le plat du four, tu voyais bien que ça brûlait ! » -- « Et quand le bain déborde tu ne bronches pas toi ?! T’es vraiment un connard de première ! »

 

6. Choisir ses insultes. Il y en a plein qui sont limite affectueuses : cruche, andouille, fumier, guignol, petit con – encore que le ton employé ait son rôle à jouer. Il est difficile en revanche d’accepter sans réagir d’être traité d’enculé de pignouf de ta mère, de grosse truie mal baisée, de trace de pneu, de chaudasse inculte, de sous-merde frigide et autre va-de-la-gueule impuissant. Ces doux épithètes insérés dans des phrases définitives pleines de toujours (« Tu es toujours en retard / bourré / dans la lune / fatigué ») ou de jamais (« Tu n’es jamais à l’heure / à jeun / en forme / habillé), ces qualificatifs, donc, peuvent faire très mal. L’efficacité maximum étant d’ailleurs atteinte en présence d’oreilles tierces : collègues de bureau, famille au grand complet fêtant le centenaire de Mémé, tournoi de belote, barbecue.

 

7. Avoir une aventure extra-conjugale. Cet ingrédient est la bombe atomique de votre arsenal guerrier – il ne faut donc peut-être pas l’utiliser trop vite. Son emploi ne présente que des avantages pour vous, ceci dit. Comme celui, assez subtil, de vous donner l’occasion de foirer une seconde fois votre vie amoureuse avec quelqu’un d’autre ! Rappelons ici que l’adultère commence souvent par une amitié platonique avec quelqu’un de familier. Puis, de confidence en confidence, on se rapproche – et qui se rapproche finit par se toucher. Et qui touche, couche ! Cultivez donc un maximum de connaissances et confiez vos états d’âme urbi et orbi – mais sous le sceau du secret. Cherchez l’aile protectrice en dehors de votre couple : la grenade est prête, il n’y a plus qu’à dégoupiller...

 

8. Autre arme de dissuasion massive, votre corps. Utilisez ce dernier à bon escient car son efficacité est redoutable. Le refus de service sexuel systématique rend chèvre n’importe quel partenaire correctement bâti : à son troisième râteau Chéri aura des envies de meurtre – ou de changement d’air. Mais il y a d’autres moyens, plus subtils. Accumuler les kilos, par exemple – ou les perdre en quantité sub-anorexique. Tout changement de silhouette qui vous éloignera de son fantasme idéal ne pourra qu’aider à la sape de l’édifice. Idem pour la peau : grêlée de zona, constellée de boutons ou striée de plaques rouges (le soleil, les médicaments, l’alcool, la fumée de cigarette – parfois les quatre ensemble), votre épiderme, donc, fera un excellent repoussoir. Mobilisez de même votre haleine et votre transpiration : effet garanti en cas d’utilisation prolongée.

 

9. Dénigrer sa famille. Il a beau avoir poussé un ouf ! de soulagement quand il a quitté le cocon familial, Marco n’en a pas moins gardé de solides attaches avec la smala. Et sa maman trône toujours là-haut dans son panthéon personnel. Déboulonner les idoles c’est de l’iconoclasme : soyez iconoclaste ! Stigmatisez ses tares familiales (ses oreilles comme des aérofreins d’Airbus), son frère dégénéré, les maladies héréditaires de sa sœur (avarice et grosses chevilles), la réputation surfaite de ses aïeux, la malchance chronique qui frappe sa famille – quand ce ne sont pas les sept plaies d’Égypte. Vous verrez qu’à la longue la méthode portera ses fruits. Marco rigolait au début, en remettait une couche parfois – mais il va finir par regimber, puis vous haïr. Car votre famille à vous est parée de toutes les vertus, bien sûr : noblesse de cœur, générosité, intelligence, oreilles fines et ourlées...

 

10. Vous avez des enfants avec lui ? Veinarde ! Vous disposez là du meilleur argument pour envoyer votre couple à vau-l’eau. Les enfants sont le premier sujet de discorde. Appuyez donc où ça fait mal : leur éducation. Reprochez-lui son laxisme sur le mode « Tu leur permets tout, tu n’as aucune autorité, tu es une chiffe molle, personne ne te respecte, on te mène en bateau mon pauvre ami, tu te fais berner, tu es aveugle et sourd, tu es ridicule et tu me fais pitié ! » ou alors « Espèce de nazillon complexé, facho de sous-préfecture, bourreau d’enfants, petit dur à la manque – fort avec les faibles et faible avec les forts ! Laisse-les respirer, lâche-leur les baskets, ils n’ont plus six ans, calme-toi, descends du mirador, fais leur confiance pour une fois et barre-toi en thalasso, ça nous fera des vacances ! ».

 

11. Le harcèlement moral est entré dans la loi : faites-le entrer dans votre couple ! Soyez ultra-jalouse, suspicieuse, tatillonne, méfiante, ombrageuse. Demandez-lui où il va, d’où il vient, avec qui il sort, pourquoi il s’habille comme ça, pourquoi il ne répond jamais sur son portable. Exigez la TVA du restaurant, les fiches du taxi, les notes de frais de son voyage – au prétexte que vous êtes en charge des finances familiales. Humez d’imaginaires parfums dans son cou, essuyez des traces de rouge fantôme, ôtez des cheveux blonds de sa poche. Le plus fidèle compagnon chancellera. Mettez alors en doute ses récits, faites-lui comprendre qu’on ne peut « jamais avoir confiance dans des types comme lui ». Charly finira par craquer. Il était métro-boulot-dodo, le voilà solo : ciao !

 

12. Glander. Se transformer en limace sous Prozac. Regarder la télé le plus possible. Ne dormir que dans le canapé, la main sur la télécommande. Sortir pour les courses, revenir sans. « Oublié de les faire. Rêvassé toute la journée au parc, excuse-moi chéri ». Repartir pour les courses. Acheter un minimum. Manger sur le chemin du retour. Déposer le sac en plastique vide sur la table de la cuisine et soupirer : quelle journée d’enfer ! Ne pas vider l’eau du bain, faire une sieste – maudit téléphone ! Ne pas répondre, ôter la prise. Se lever avec des couinements dans l’estomac. Ouvrir la porte du frigo : encore vide ! L’ampoule vient de sauter. Sortir acheter à manger pour le soir. Promettre à Sam de payer l’ardoise. Revenir à la maison. Passer par la fenêtre de la cuisine car les clefs sont à l’intérieur. Chauffer la pizza au micro-onde. Monter le son de la télé, le feuilleton commence. Oublier la pizza. Dire à son mec de stresser un peu moins et de bouger de là – il vient de rentrer du boulot, il est déjà dans le chemin ! Et tant qu’à être debout, va nettoyer le four, la pizza s’est désintégrée ! « Je m’casse, feignasse ! » : c’est dans le feuilleton, cette réplique ?!

 

13. Comparer sans cesse votre partenaire à tout ce qui bouge : physiquement les mecs en rue sont toujours superbes, intéressants, avec une classe folle, alors que lui... Tiens-toi droit Robert, on dirait Quasimodo ! Dans les films les acteurs sont sexy de la mort – même les vieux, même ceux qui ont des cicatrices comme Joaquin Phoenix, même les seconds rôles d’abrutis ! Comparez sans arrêt aussi les « qualités » de votre partenaire à celles de vos amis et connaissances : « Faut reconnaître que Matthieu est beaucoup plus bricoleur que toi, Robert ! Que Marc sait lire une carte routière ! Que Paul fait la cuisine comme un chef ! Que Pierre raconte des blagues géniales et mieux que n’importe qui – suivez mon regard ! » Revenir à la charge un peu plus tard pour évoquer vos ex, tous sympas, drôles, mannequins, riches et obsédés sexuels : « Ils me conduisaient chaque fois aux limites de la folie, j’en ai des frissons rien que d’en parler... Malheureusement je n’ai plus jamais connu ça... ». Et votre premier mari, lui, était d’une générosité financière dingue !

 

14. Claquer du pognon. Les hommes sont particulièrement paranos sur le sujet, c’est bien connu. Pour eux les femmes sont d’irresponsables gaspilleuses – même celles qui travaillent cinquante heures/semaine. Plombez-lui le moral en revenant avec des trucs hors de prix totalement inutiles : une troisième machine distillant six dés à coudre de café à la fois ; un appareil photo numérique à onze milliards de pixels (et autant d’euros – mais je rigole, chéri !) ; un vélo d’appartement carbone/acier/chrome avec selle en alligator d’Australie doublée de jeune kangourou : « C’est une occase Gino – tu pourras t’entraîner le cœur léger, il a coûté l’équivalent de 800 cours particuliers, c’est donné ! » Deux mois maximum d’un tel régime devraient suffire : votre amoureux filera vers Bâle épouser dans la plus stricte intimité une banquière calviniste et suisse-allemande.

 

15. En vrac, ne jamais oublier de se pourrir consciencieusement la vie à deux :

- en criant sur tous les toits que votre relation est parfaite, que votre couple est incroyablement soudé, que l’harmonie règne. Ajouter : « Nous ne nous disputons jamais » ;

- en vous plaignant de tout sans arrêt ;

- en passant vos journées au téléphone à déprécier l’autre ;

- en exigeant des cadeaux sans cesse ;

- en ne faisant jamais de compromis dans les discussions ;

- en vous inquiétant de vos santés mentales réciproques ;

- en vous disputant sans arrêt sur des sujets microscopiques ;

- en voulant toujours avoir le dernier mot ;

- en ne reconnaissant jamais vos erreurs ;

- en prenant à témoin des gens autour de vous (ascenseur bondé, restaurant d’entreprise, file à la caisse du magasin) ;

- en vous agressant physiquement : claques, pinçons, beignes, tirage de cheveux ;

- en faisant du chantage (aux enfants, aux vacances, à la famille) ;

- en hurlant à la moindre contrariété ;

- en vous accusant mutuellement de ne jamais rien trouver (dans l’armoire à pharmacie, le frigo, la cave, le garage) ;

- en demandant d’indiquer la route plus clairement que la fois passée ;

- en ronflant pendant la nuit ;

- en vous disputant pour savoir qui se lève ce week-end pour les enfants ;

- en ne vous regardant jamais dans les yeux ;

- en ne remarquant jamais la nouvelle coiffure de l’autre, son nouveau nez, son nouveau sein, ses nouvelles lèvres ;

- en boudant pour un rien ;

- en culpabilisant l’autre quoi qu’il fasse ;

- en étant gentil et attentionné, drôle et charmeur... avec les amies et amis ; 

- en critiquant la façon de conduire de votre partenaire : trop vite, trop lent, jamais bien ;

- en imposant son programme de télé à tous, ses CD, son émission de radio ;

- en accusant l’autre de superstition, bigoterie, inculture, esprit faible ;

- en ne prenant aucun soin des objets de famille de l’autre (cristaux, photos, bibelots...) ;

- en oubliant les dates d’anniversaires et les fêtes de famille ; en ne faisant jamais de cadeaux ; en étant carrément absent de la maison ces jours-là ;

- en fuyant toutes les taches ménagères (lits, vaisselle, aspirateur) ;

- en oubliant d’aller chercher les enfants à la piscine (au cinéma, chez le petit cousin...) ;

- en accumulant les reproches pour tout balancer d’un coup ;

- en communiquant le minimum, en ne racontant rien de sa journée – sauf en présence de tiers ;

- en ne parlant jamais du futur, en faisant toujours comme si l’on allait se séparer dans la minute ;

- en ne tirant pas les conclusions qui s’imposent de cette article !

 

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Quelques citations :

 

 

« Le secret de la longévité de notre mariage ? Un bon restaurant deux fois par semaine. Dîner aux chandelles et musique douce... Elle le mardi, moi le vendredi. » [Henry Youngman]

 

« J’ai raté mes deux mariages. Ma première femme est partie ; la seconde est restée. » [Pierre Doris]

 

« Le couple : des espèces de frère et sœur légalement et mollement incestueux, entre frigidaire et télé. » [Paul Guth]

« Dans un couple, l’un au moins doit être fidèle – de préférence l’autre. » [Marcel Achard]

 

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