« Le lâche sexuel »

— une enquête de Noëlle Clou et Camille Lamotte pour Gael

[Publiée en juillet 2004 p.70]

 

 

Le mot nous a toutes fait bondir : « Lâche sexuel ! » C’est ainsi que Charlotte, vaincue, a finalement estampillé son petit copain de boulot, son gentil pote marié qui la chauffait furieusement depuis trois ans. Trois ans de séduction acharnée et platonique, de clins d’œil complices, de mains passées sur les épaules. De journées et de week-ends collés ensemble, comme de vrais lycéens, grisés par les regards brûlants et les allusions. Mais à ce jeu, c’était un pas en avant pour quatre pas en arrière. Et Charlotte, le cœur battant, qui n’osait jamais brusquer son cher Denis, si farouche. De peur de le perdre tout à fait. Car au-delà des regards, on entrait dans le domaine du non-dit. Doute, désarroi et sentiment de devenir complètement folle – tous ces moments magiques qu’elle avait imaginés... et jamais concrétisés. Charlotte n’a raté aucune des phases successives de l’anéantissement. Au bout du compte, elle a fini par se rendre à l’évidence : le drame qui se jouait sous ses yeux ressemblait furieusement à du boulevard à trois sous, Denis n’ayant, bien sûr, pas envisagé une seconde de quitter sa femme. Pire, il n’avait jamais tenté quoi que ce soit avec elle, Charlotte ! Leur histoire leur était pour ainsi dire passée sous le nez. « Un vrai petit allumeur ! » a conclu la malheureuse au milieu du concert d’approbation des copines. Mais derrière l’aplomb de façade du groupe, c’était la stupeur générale. L’incompréhension absolue. Et dans le cercle des amies atterrées, la douloureuse prise de conscience qu’une nouvelle race d’homme venait d’être mise au jour, là sous leurs yeux. Moment historique, le lâche sexuel entrait au panthéon des bizarreries de la nature masculine. Cette sorte de pré-don Juan était passée inaperçue jusque-là – moins identifiable, il est vrai, que le banal et authentique salaud, bien connu de nos services...

 

Passé le premier choc, nous avons enquêté, mené de vraies fouilles pour savoir à quelle sauce ce nouveau mec allait nous manger. Et voilà ce qu’on a découvert...

 

Mathilde, 31 ans, architecte :

 

Il y a deux ans, j’ai totalement succombé psychologiquement à un lâche sexuel, charmeur et très marié. Il ne s’en est d’ailleurs jamais caché, au contraire. C’était du « ma femme » par-ci et du « ma femme » par-là, à tout bout de champ. Tout en étant dans la séduction pure avec toutes les femmes qui passaient dans son périmètre. Mais toujours sur un mode très platonique. Il était enveloppant, rond, dosant habilement rire et tendresse. Jouant sur tous les registres émotionnels sans pourtant jamais franchir LA limite : celle qui permet par un geste de concrétiser toutes les allusions. Bêtement, je suis tombée dans le panneau : je pensais vraiment qu’avec moi ça pouvait aller plus loin. D’ailleurs, il allait jusqu’à me consacrer des soirées entières, très caressant, très complice, dans un continuel jeu de regards. Mais toujours hyper-prudent. Marchant sur des œufs et faisant machine arrière avec une rapidité surprenante dès que je montrais des signes d’intérêt trop visibles. J’étais complètement désorientée. Avais-je tout faux depuis le début ? Était-ce juste un ami, très, très proche ? J’étais vraiment paumée, cette histoire me bouffait complètement. Pendant longtemps, je l’ai pris pour un timide. Mais un jour, croyant qu’il attendait sans doute que je m’enhardisse, j’ai saisi sa main dans un moment d’égarement. Et j’ai vu son habileté à se tirer de ce mauvais pas : il a ri, a baisé gentiment ma main avant de la lâcher doucement... Aucun timide véritable n’aurait eu un tel réflexe. Il s’agissait donc d’un homme roué, qui testait sur moi son pouvoir de séduction. Sans prendre le risque d’aller jusqu’au bout. Après cette prise de conscience, sa lâcheté a fini par m’énerver. Pour couper court à cette relation malsaine, j’ai failli un jour me jeter sur lui – juste pour voir son air épouvanté, et pour admirer comment il allait se sortir de ce mauvais pas... Je pense sincèrement qu’il serait tombé dans les pommes ! Mais je n’ai pas eu le courage de me lancer dans une telle mise en scène. J’ai tout bonnement arrêté de donner suite à ses e-mails et coups de fil.

 

Vanessa, 37 ans, décoratrice :

 

Mon meilleur ami est un lâche sexuel. Je l’ai tout de suite vu : il n’avait rien du dragueur de banlieue, épais et lourd, au contraire. À l’époque, il venait de rencontrer sa future femme. Il a fallu pour ainsi dire qu’elle le viole, d’ailleurs... Nous avons souvent discuté de cela lui et moi. C’est un lâche sexuel de naissance, ainsi qu’il me l’a lui-même expliqué. Chez lui, c’est un principe de précaution : tromper physiquement sa femme équivaut à mettre son pied nu dans un nid de guêpes. Pour le citer : « Les emmerdes issues d’une tromperie sont mille fois supérieures au plaisir que l’on peut en tirer ». Tant que son couple tient bon, bien sûr... Il a en quelque sorte la flemme d’être un cumulard du mensonge. Avec sa femme d’abord, et avec sa maîtresse ensuite. Du coup, plutôt que de passer à l’acte et risquer de ruiner son mariage, il charme à tout va. Il est comme ça. La séduction, pour lui, c’est 90% de l’acte d’amour. Et d’une certaine manière, la femme qui succombe à son charme le perd tout à fait. Serait-il pas un brin pervers et sadique ? Car ce qu’il aime, c’est cet instant fragile entre tous où il sent que sa conquête envoûtée bascule : il la tient, il a vaincu... tout en sachant pertinemment qu’il ne craquera pas, lui. C’est comme un pied de nez supplémentaire aux malheureuses... Je me demande s’il ne serait pas salutaire qu’il tombe un jour sur une totale bitch sexy et froide qui l’allumerait à son tour. Puis se refuserait, le relançant et le faisant tourner en bourrique en allant chaque fois plus loin. À la fin elle le dégusterait dans un endroit discret – à l’étranger par exemple, pour lui laisser un peu d’oxygène psychique. Il redeviendrait humain. Infidèle et normal... Et j’aurais peut-être ma chance ! Car ce qu’il y a de tragique, avec les lâches sexuels, c’est qu’ils ont un charme fou et qu’on a vraiment envie d’eux !

 

Magali, 34 ans, laborantine :

 

Le lâche sexuel, j’ai donné, merci. Le mien n’était pas marié. Frank, à l’état civil. Ingénieur dans une boîte informatique juste à côté du labo où je travaillais. C’est en prenant prétexte d’un film à développer qu’il a commencé à me draguer. Comme j’ai pris pas mal de râteaux dans ma vie, j’y suis allée doucement. En marche arrière presque. Et puis j’ai accepté qu’il me raccompagne un soir. C’était au début de l’hiver. Il a été charmant, un véritable gentleman malgré son jeune âge. On s’est revu, à son initiative surtout, car je baisse la garde difficilement. Mais une fois baissée, et s’il y a toujours du répondant en face, je deviens grave débile. Amoureuse comme un canard. Il m’a eue à l’usure, j’ai craqué. Pourtant quelque chose clochait. Pas moyen d’avoir un rapport physique ! Monsieur a mis trois mois pour passer de la franche poignée de main au bisou sur la joue ! Puis trois mois encore pour me serrer dans les bras – et encore, il a fallu le noyer dans l’alcool ! Après un an il a accepté de me toucher de manière beaucoup plus intime – j’ai d’ailleurs eu un orgasme en 32 secondes –, lui était toujours en pantalon et en T-shirt ! Il m’a laissée là, pantelante, s’est rhabillé, puis a tourné les talons ! Un fou... J’ai tout envisagé : le mec terrorisé par le sida, l’éjaculateur précoce, l’homosexuel honteux, le pasteur protestant arc-bouté sur ses vœux. Et même l’intégriste du no sex avant mariage... Je n’ai compris que six semaines plus tard, en fait : Frank avait plusieurs filles au feu, comme moi. Il papillonnait, séduisait, charmait l’une, puis l’autre, occupant ainsi ses soirées et week-ends. Dès que ça allait « trop loin », il jetait un seau d’eau glacée sur sa relation, espaçait les rendez-vous et invoquait du travail en retard. J’ai arrêté de le voir. Mais je me demande toujours ce que ce genre d’individu place derrière l’acte sexuel ? Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Qu’est-ce que ça représente pour lui ?

 

Gregory, 42 ans, éditeur :

 

Un lâche sexuel, moi ?! C’est vrai, l’acte ne m’intéresse plus trop. J’ai commencé tôt, j’ai l’impression d’en avoir fait le tour ! Et puis les femmes me semblent obsédées par la chose aujourd’hui. Je ne dis pas qu’il faut revenir au Moyen Âge, au temps de l’amour courtois, mais pourquoi mettre le sexe au centre d’une relation ? Je préfère de loin séduire – par le regard ou la parole, ou par ma façon d’être – et rester dans la légèreté, dans l’instant. Pourquoi « conclure » ? Et conclure quoi, au fond ? Moi je souhaiterais que ça continue comme ça, sans drame, sans crise, cool... Surtout que rien ne change ! Et ce n’est pas moi qui sur-interprète la relation sexuelle, ce sont les femmes ! Pour elles faire l’amour c’est marquer quelque chose d’une pierre blanche. Moi je sens presque la trace du fer sur la peau – au secours !

 

Sébastien, 26 ans, dessinateur :

 

Autant être sincère : l’amour physique me fait un peu peur ! Je n’ai pas trop confiance en moi, ma première expérience a foiré complètement – une professionnelle payée par mon père dont j’ai appris plus tard qu’il l’avait fréquentée pendant des années... Mes amis regardent des films pornos et se vantent de leurs exploits sexuels – je ne suis pas trop dupe mais je suis loin d’avoir leur expérience. Alors j’ai trouvé le truc : je drague et je séduis tous azimuts, j’envoie des fleurs, je rends service, je me tiens au courant de l’actualité et je tchatche un max. Comme je ne suis pas exactement bossu, et que je n’ai pas l’air d’un beauf’, je suis toujours entouré de jolies filles. Ça me rassure, mais pas question de finir au lit avec l’une d’elle en particulier : j’aurais trop peur que le charme se rompe ou qu’elle me compare aux autres nazes du groupe ! Alors je somatise et je reste avec mon désir sur les bras. On n’en meurt pas !

 

Serge, 47 ans, professeur :

 

À mon âge, aujourd’hui, on est encore jeune, non ? Je me regarde dans la glace et j’estime que j’assure toujours ! Il n’y a que ma femme qui n’en soit pas convaincue – mais c’est normal, on est mariés depuis plus de vingt ans... Toujours est-il que je plais à une certaine catégorie d’étudiantes que j’ai comme élèves : des filles de 23-24 ans un peu paumées, dont les parents doivent avoir divorcé, et qui cherchent un père de substitution : mesdemoiselles je suis votre homme ! Car j’adore séduire ces gamines – et ce n’est pas trop difficile, vu mon expérience, ma situation et le peu d’argent que je gagne. En fait je drague pas mal après les cours, on a du temps, on bavarde, j’écoute et je ramène ma science en douceur... Attention, au-delà de ce rôle de Casanova protecteur, terrain miné ! Pas question d’envisager l’acte sexuel – même si je remarque que j’aime de plus en plus frôler l’interdit (il me semble d’ailleurs que je m’avance bien loin avec l’une ou l’autre ces temps-ci)... Ce n’est pas tant la morale qui m’arrête que la mélancolie qui suit toujours l’acte physique : post coitum anima tristis comme disait Ovide dans l’Art d’aimer ! Pour moi, ce qu’il y a de plus excitant en amour, c’est quand on monte l’escalier. Alors, une fois en haut, inutile de pousser la porte, autant redescendre...

 

Frédéric, 39 ans, photographe de mode :

 

J’ai été élevé dans la religion et la morale la plus stricte. Ça m’a marqué. Après une période naturelle de révolte contre cette éducation, j’ai commencé à faire miennes les idées qu’on m’avait inculquées. Plus par choix raisonné que par suivisme béat – tout en desserrant un peu le corset, quand même... Je suis marié depuis bientôt quinze ans. Nous nous sommes connus, ma femme et moi, lors d’un vernissage un peu arrosé : j’étais son premier « garçon », elle ma première « fille ». Aujourd’hui l’idée de ne pas avoir « touché » d’autres femmes me hante. Malgré nos quatre enfants. Aussi ai-je décidé de sortir le grand jeu et de charmer toutes les célibataires présumées de l’entreprise. Pour voir si j’étais toujours vivant. Si je plaisais encore. Et ça a marché ! Il faut préciser que plus de 80% du personnel est féminin ici, et jeune, et sexy (c’est une entreprise de mode), et sacrément déluré ! Mais pas question de déroger aux vœux de fidélité que ma femme et moi nous sommes jurés. Je flirte donc – et m’arrête au bord du précipice. Je ne commets que des adultères virtuelles... Ceci dit, il faut avoir l’âme bien trempée parfois pour résister aux femmes modernes – et je m’admire ! Mais peut-être suis-je finalement plus amoureux du concept de fidélité que vraiment fidèle... Si ma chérie savait !

 

 

Mini-test

 

Apprenez à démasquer le lâche sexuel en puissance. Neuf questions à lui poser dans un recoin de la cafèt’.

 

[Question 1] — Que penses-tu, Marco, du film « Attraction Fatale » avec Glenn Close et Michael Douglas ?

 

a) Liaison trop dangereuse

b) Canon, la Glenn, encore !

c) Chaud, le lapin, chaud !

d) L’aventure c’est l’aventure...

 

[Question 2] — C’est quoi, pour toi, un allumeur ?

 

a) Un type sympa

b) Un Zippo

c) Une pièce de moteur

d) Un personnage du Petit Prince de Saint-Exupéry.

 

[Question 3] — Et une allumeuse, c’est qui ?

 

a) Une salope

b) Une traînée

c) Une garce

d) Une fille sympa.

 

[Question 4] — Ça y est, Olivier, ta conquête et toi vous déshabillez – mais à un bout de l’appartement chacun. Qui est dans la salle de bain ?

 

a) Toi, Olivier

b) Elle

c) La douche

d) Sigmund Freud.

 

[Question 5] — C’est quoi, pour toi, l’abstinence ?

 

a) Un piment bienvenu

b) Une technique contraceptive

c) Un truc de catho psychorigide

d) Canal+ en panne.

 

[Question 6] — Le comble de l’érotisme c’est :

 

a) Le cours du tourteau de soja à Chicago

b) Ma main droite autour d’un verre de bière

c) Se mettre en short pour regarder Télé-foot

d) Ton regard sur moi.

 

[Question 7] — Guy, pour toi, séduire c’est :

 

a) Déjà fait

b) Une drogue dure

c) Des dents blanches, une peau fraîche

d) Soutenir son regard.

 

[Question 8] — Coucher, c’est :

 

a) Dangereux

b) Ténébreux

c) Douloureux

d) Quand tu veux.

 

[Question 9] — La dernière fois que tu t’es défilé, Lucas ?

 

a) Là, maintenant

b) Dans une cabine d’essayage

c) Hier, ma mère au téléphone

d) Jamais de la vie.

 

 

Résultat : si Rodrigo a entouré plus de voyelles que de consonnes, fuyez ! (ou présentez-le à votre meilleure ennemie !)

 

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