« À quelles extrémités elle est capable de me pousser ! »

— une enquête de Noëlle Clou pour Gael

[Publiée en novembre 2005 p.166]

 

 

 

J’ai une peur bleue de l’altitude – et le vertige me noue l’estomac dès que je grimpe sur un tabouret. Alors quand il a fallu sauver Charlie, son petit chat blanc... Chat blanc bloqué tout en haut du cerisier... Cerisier qui culminait à vingt mètres... Vingt mètres d’escalade et d’horreur ! Charlie tremblait autant que moi tout là-haut, heureusement il s’est vite glissé sous mon pull sans oser sortir la tête. Il m’a tenu compagnie comme ça jusqu’à l’arrivée des pompiers... On nous a évacués sous les quolibets... Ma copine s’est tirée, deux mois plus tard, avec un autre. Et Charlie sous son pull...

[Pierre, 28 ans, plongeur sous-marin)

 

Monika tournait toutes les têtes. Une liane d’un mètre quatre-vingts avec des cils !... Lesquels ne se levèrent pas sur moi quand elle apparut en classe : je faisais deux fois et demi son poids, au dernier rang, sous mon T-shirt pourri. Cette année-là j’ai sculpté mon corps aux sachets de protéines. Vers Pâques j’empestais toujours l’acétone – mais vu de profil j’étais presque beau. Presque. J’ai appris l’année d’après qu’elle n’aimait que les filles. Asiatiques, en plus. Et toutes menues. Si ça intéresse quelqu’un, je suis resté mince.

[Wagner, 30 ans, interprète]

 

Je l’ai séduite en faisant son siège. Jour après jour avec mon bouquet. Une couleur par jour de la semaine. Je voyais bien qu’elle me voyait, derrière ses rideaux, et qu’elle se pinçait : ce nain croit que je vais sortir avec lui ?! Elle s’est mise à me lancer des défis comme on jette un bâton à son chien – de plus en plus loin. Un samedi en matinée j’ai traversé la piste du cirque Bouglione. Nu comme un ver. Le dresseur de caniches qui officiait à ce moment-là en cause toujours. Mais c’était moi le caniche. Qu’est-ce qu’ils ont ri, les enfants du premier rang !

[Frédéric, 32 ans, géomètre]

 

Comment voulez-vous aller en Irlande, sinon par avion ? Et moi, l’avion, c’est non. Alors quand Yseult m’a téléphoné qu’elle avait oublié ses costumes, son texte et son nounours transitionnel... « Pas question de les envoyer par courrier express, lapin, imagine que ça se perde ! Fais un effort, quoi, prends-le, ce coucou ! » Je ne me suis jamais autant drogué : pétard, somnifères et tilleul à fond les sinus. La douane de Belfast m’a pris en photo tellement j’étais loin. Et poussé dans le vol retour. Une valise en moins mais les paupières encore plus lourdes. Allez, je suis quand même célèbre quelque part !

[Luciano, éclairagiste de théâtre, 34 ans]

 

Henri Michaux a dit : « La langue tamoule est composée de mots ayant en moyenne six syllabes ». Je confirme, nom d’une pipagadanari ! Je l’ai étudiée à doses massives, la langue tamoule, pendant une année entière – et en perfusion le week-end ! Car ma bon dieu de chérie partait à Pondichéry pour son travail (c’est en Inde). Elle est diplomate et moi le roi de la débrouille – mais qu’est-ce que j’en ai bavé ! Surtout quand elle n’est pas partie : un poste plus intéressant s’était libéré ailleurs ! Manidap piravivinar sakalarum sudandiramaakavéé ! (Les hommes naissent libres et égaux, mais mon tailleur est plus riche que le tien)

[Georges, 30 ans, concepteur de jardins]

 

Je suis un animal à sang froid doublé d’un poltron. Ce n’est plus de la paralysie mais une attraction médicale. Tout baignait pourtant ce jour-là – jusqu’à ce que Cléo m’oblige à venir à sa soirée costumée. J’ai choisi pharaon, histoire de rester immobile au fond du sarcophage, protégé par les bandelettes. Sauf que tout le monde a voulu voir. Et qu’on m’a ôté mon masque. Et que j’ai compris que j’étais le seul déguisé du troupeau. Les pingouins rigolaient par vagues. Je me suis évanoui de honte, d’un coup. Et réveillé dans une chambre commune à l’hôpital. Je portais une chemise de nuit. Un vrai fantôme.

[Marc-Antoine, 38 ans, assureur-vie]

 

Quand on aime, on ne compte pas. Ma fille veut des cigarettes, je pars lui acheter des cigarettes. Elle n’a que douze ans, c’est vrai, mais elles sont en chocolat, les cigarettes, et ma fille est trop mignonne. On est en pleine nuit, paumés dans le Valais, avec deux mètres de neige partout (sauf dans les virages où il y en a trois). Je roule doucement vers la vallée. Glisse dans un fossé comme au ralenti. Rentre à pied, la trouve endormie près du chien. Chienne de vie, justement. Même pas de chocolat pour me réconforter, ni rien à fumer.

[Wagner, 36 ans, pilote de ligne]

 

Les piercings, on sait quand ça commence mais pas où ça s’arrête. Heureusement que Bush verrouille ses aéroports comme un malade. C’est Tony qui m’a mis en garde : avec un Prince Albert tu fais sonner tous les portiques ! Bonjour l’explication quand tu te retrouves en slip et que ça bipe toujours ! – Pardonne-moi Pamela, j’aurais été jusque-là pour toi, un piercing au bout du... bip ! Mais c’est mauvais pour le tourisme, paraît-il ! Tiens, j’ai une nouvelle décalco à la place : Scarlett Johansson, qu’est-ce que t’en penses ?!

[Jason, 24 ans, musicien]

 

Pour elle j’ai bazardé toutes mes collections de mangas – tous les posters d’Evangelion, les figurines, les jeux de cartes, les calendriers, les porte-clefs... Ce fut un crève-cœur, mes potes ne le croyaient pas... Jusqu’à ce qu’ils s’entretuent presque pour les plus belles pièces. Maintenant on a de l’espace dans la chambre. Moi ça me parle pas trop, les robes de princesses, les images de chatons qui jouent dans la lumière, les couchers de soleil – mais bon, à 40 ans il faut savoir dire stop...

[Tristan, 40 ans, docker fulgurant]

 

Le nerf de la guerre, c’est l’argent. Lequel favorise aussi la paix des ménages. J’ai donc été jusqu’à éponger toutes ses dettes, à Marylou ! Même celles qu’elle avait contractées chez ses ex ! Je suis un saint. Doublé parfois d’un naïf, comme disent mes collègues au bureau. En attendant mon oiseau des îles gazouille tout le temps, c’est le bonheur. Mais au Luxembourg, avec mon banquier. Ex-banquier, en fait.

[Didier, 34 ans, médecin scolaire]

 

Je ne suis pas trop porté sur la psychologie, le développement personnel, les thérapies de groupe et tout le bastringue. Mais j’ai accepté pour Paulette de participer à un stage de – attention les yeux –géodanse tellurique (?!) Heureusement que personne ne me connaissait, qu’il n’y a pas eu de photos ni de vidéos. Plus ridicule tu meurs. J’étais comme un ours pataud imbibé d’alcool, un derviche hagard ouvert aux ondes sismiques... Tu parles, à part un mal de tête monstre dû à la moquette putride et l’atmosphère confinée, j’ai rien senti. Mais je t’aime quand même, Paulette, tu sais !

[Guy, 28 ans, humoriste]

 

Par amour pour elle, et suite à des demandes répétées de sa part, j’ai accepté d’aller dans un club échangiste. Eh bien c’est terrible. Terriblement bon ! J’arrive pas à en sortir ! Au secours !

[Éric, 40 ans, illustrateur sonore]

 

Vous aimez l’art contemporain ? Moi non plus. Il a bien fallu pourtant que je l’accompagne un jour à un vernissage. Je n’avais jamais mis les pieds dans une galerie. Quelle gifle ! Il n’y avait rien ! Juste une gardienne qui m’a proposé de parler deux minutes en public du « rapport des œuvres d’art à l’économie de marché ». C’était ça, l’œuvre ! Les gens étaient manifestement plus occupés par l’économie du buffet et la circulation du champagne... Quelle daube !

[Marco, 38 ans, restaurateur]

 

Le lendemain du jour de notre mariage – je ne mens pas –, elle m’a demandé d’arrêter de fumer ! On n’en avait jamais parlé avant, je croyais que la question était réglée. Eh bien non, manifestement. J’ai donc arrêté. Pas la cigarette – mon mariage.

[Arnaud, 30 ans, kiné]

 

Le truc le plus dingue que j’ai fait pour elle, c’est de débarquer à l’improviste pour lui souhaiter bon anniversaire. Je suis parti de Namur vers midi, il pleuvait des cordes, et j’ai roulé toute la nuit en buvant du café. La pluie s’est arrêtée une heure avant mon arrivée. Grand soleil sur la Normandie et sur son visage ébahi. J’avais des mouchettes écrasées sur le front, des jambes en capilotade et un vélo bon pour la casse – mais quel souvenir !

[Tom, 24 ans, étudiant]

 

C’était lors d’une soirée un peu guindée chez ses parents. Sa sœur fêtait je ne sais plus quoi, un gros contrat, quelque chose comme ça. On se lève de table et on s’assied au salon. Un hypnotiseur nous attendait. C’était ça la surprise. Ma copine a insisté pour que je passe en premier. J’étais mal à l’aise, je ne voulais pas – et puis, bon... Il paraît que j’ai dit tellement de grossièretés qu’on a cru que j’étais atteint du syndrome de Gilles de la Tourette ! J’ai juste le souvenir qu’il y avait de l’œuf dans la barbe de l’hypnotiseur. Mon portefeuille a disparu aussi ce soir là – je n’insinue rien, mais quelle galère !

[Jean-Marc, 36 ans, professeur de français]

 

© Noëlle Clou.

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