Vive la mauvaise foi !

Une enquête de Noëlle Clou pour Gael

[Publication : octobre 2008, p.108]

 

 

La mauvaise foi c’est mon arme préférée pour éviter les ennuis. Ma dernière aventure ? J’ai heurté le pare-choc d’un type arrêté au feu devant moi et j’ai prétendu que c’était lui qui avait reculé (la rue était en pente) ! Comme il téléphonait au moment où c’est arrivé, il a eu un doute et m’a laissé partir. Pourtant son pare-choc était en accent circonflexe !

[Emma, 32 ans, anesthésiste]

 

Dans les discussions entre amis, à table, je prends souvent des positions radicales — rien que pour voir jusqu’où ça peut aller. On me dit que j’exagère, que je joue toujours les avocats du diable... En réalité le diable c’est moi — mais un diable qui met de l’ambiance, la mauvaise foi ça aiguise la conversation !

[Béatrice, 38 ans, antiquaire]

 

La fable du Corbeau et du Renard m’a marquée, quand je l’ai lue vers huit-neuf ans. J’étais à fond pour le Renard, l’illustration le montrait pétillant de malice — alors que le Corbeau avec sa demi-lune coincée dans le bec avait l’air un peu ahuri. Il m’arrive d’adopter aussi la tactique du Renard : je flatte gentiment, je complimente, je brûle de l’encens... ça marche, j’obtiens presque tout sans avoir l’air d’y toucher !

[Jeanne, 42 ans, artiste peintre]

 

Je m’étais construit une image d’avocate irréprochable et cool. Je tenais bien mes dossiers, je les suivais dans les moindres détails — mais sans jamais donner l’impression de stresser plus que ça. Et voilà qu’un jour, je ne sais pas pourquoi, j’oublie de me présenter à une audience. Le client, furieux, se plaint le soir même au patron du cabinet. Je m’en suis tirée en faisant porter le chapeau à une stagiaire — ma mauvaise foi m’a sauvée. La stagiaire, elle, a eu un peu de mal à remonter la pente... Dix ans après je culpabilise toujours.

[Gisèle, 39 ans, avocate]

 

Je ne suis de la mauvaise foi qu’avec moi-même ! Parce que ça me permettre de vivre ! Je me rassure tout le temps : « Non, tu ne dépenses pas trop de l’argent, si, tu as pleine d’amies, tu es super-organisée, tu es la plus belle de l’agence ! Et non, tu n’es pas nulle en française langue ! »

[Vania, 23 ans, mannequin de la Russie]

 

Je suis un poil mythomane, mais c’est juste pour améliorer l’ordinaire — nos vies sont si banales ! Voici le touriste chinois beau comme un dieu qui me supplie de partager son jacuzzi — avant de disparaître à moitié nu dans un couloir de l’hôtel ; Fabio est ce réalisateur de pub italien qui m’arrête en pleine rue et me fait essayer mille chapeaux ; et lui, c’est le vieillard qui a sonné chez moi et prétendu être mon vrai père... Mes histoires intriguent — mais mon aplomb et ma mauvaise foi me sortent de tous les pièges !

[Chloé, 30 ans, auxiliaire de police]

 

Pour moi le comble de la mauvaise foi ce sont les filles qui t’allument en boîte ou en soirée puis qui s’effarouchent dès que tu essaies de les draguer ! La mini, le top en dentelle à moitié transparent, les œillades et les déhanchements c’est pour qui, faudrait savoir !

[Emeric, 20 ans, étudiant en philosophie]

 

Avec mon mari c’est le bras de fer permanent, on se dispute pour des micro-détails, c’est pathétique, mais bon, rien à faire : « Dis, c’est toi qui n’as pas refermé la boîte de cirage ? Pourquoi tu ne revisses jamais le bouchon du dentifrice ? Tu pourrais éteindre la cave quand tu as fini... » Je suis médaille d’or de la mauvaise foi, mais c’est une question de survie — si je ne l’étais pas il m’écraserait, Monsieur je-sais-tout !

[Mary-Line, 44 ans, libraire]

 

Je ne cache mon jeu que pour faire le bien, jamais par hypocrisie — mon père a trompé ma mère pendant des années et je ne mange pas de ce pain-là. La mauvaise foi « bienveillante » c’est, par exemple, quand je mens à Jean-Philippe pour ne pas lui gâcher son anniversaire surprise ; ou quand je cache la vérité sur Saint-Nicolas à mon petit neveu (il a 19 ans, le neveu, je me demande s’il ne se doute pas de quelque chose) ; ou quand je vais sur Meetic et que je divise mon âge par deux !

[Irina, 43 ans, monitrice de sport]

 

Je dois avouer qu’un peu de mauvaise foi est utile aux relations dans l’entreprise. Je fais souvent copain-copain avec les employés du garage, on se tutoie à la cantine, je prends des nouvelles du petit dernier... Dès qu’ils deviennent trop familiers ou qu’il y a un problème, je m’éloigne discrètement et j’appelle le chef du personnel ; c’est lui qui va serrer les boulons, distribuer les blâmes, faire la police...

[Mégane, 49 ans, concessionnaire automobile]

 

La mauvaise foi avec un contrôleur fiscal c’est presque une obligation ! « Ah, mais je ne savais pas qu’il fallait déclarer tout ça ! Vous êtes sûr que la limite est de 10 000 euros ?! J’ai dû me tromper dans une addition quelque part, excusez-moi ! »

[Carméla, 34 ans, expert-comptable]

 

J’adore jouer aux cartes — et pourtant je triche ! Mon tableau préféré c’est celui de Georges de La Tour, le « Tricheur à l’as de carreau » — je trouve que le joueur naïf, à droite, a tellement moins d’allure que le professionnel, à gauche, la main cassée dans le dos ! Je sais que je triche, j’en ai un peu honte et pourtant, dans mon for intérieur, je me trouve des excuses : « Ce n’est qu’un jeu, ça met du piment, un jour je raconterai tout... » C’est ça la mauvaise foi ? C’est bien agréable !

[Nadia, 28 ans, secrétaire médicale]

 

Je suis assez douée pour détecter les fragilités des autres, je sais qu’Untel, par exemple, ne demande qu’à croire ce qu’on lui dit, il n’ira pas vérifier si ce que je raconte est vrai — car il est paresseux, donc ça l’arrange ! Du coup j’en profite de temps en temps, j’invente un truc quand j’arrive en retard, ou je fais celle qui ne savait pas (mes horaires varient chaque semaine). La mauvaise foi c’est tout un art, il faut avoir de la tchatche, du culot — et de la mémoire pour ne pas se couper !

[Justine, 33 ans, hôtesse]

 

Il y a dans la bonne foi quelque chose de neuneu, quelque chose qui est vite exaspérant : la gentille, la naïve aux grands yeux et à la bouche qui pend, c’est quelqu’un qui subit — pas quelqu’un qui agit —, ça devient vite un boulet ! Moi je suis surmenée, donc de mauvaise foi tout le temps, donc d’une créativité folle ! La mauvaise foi renverse les obstacles, rien ne l’arrête, c’est une machine qui avance !

[Solveig, 37 ans, chef de cuisine]

 

Je suis la reine de la mauvaise foi — mais au ping-pong seulement ! C’est bien simple, j’embrouille les points, je m’arrange toujours pour semer la zizanie, je prétends que c’est moi qui étais en tête, moi qui menais 8-5, et pas lui, « ... souviens-toi, c’était la balle coupée que tu avais mise dans le filet ! » Bref, je gagne, c’est bon pour le moral !

[Bella, 26 ans, comédienne]

 

Si je casse un verre un essuyant la vaisselle et que mon compagnon me demande ce qui se passe, je l’accuse lui, tout simplement, d’avoir mal rangé la vaisselle ! Comme ça c’est lui le responsable, et pas moi ! Je retourne la plupart des situations à mon avantage. Mon homme n’est pas vraiment dupe, c’est presque devenu un jeu entre nous — et ça me convient !

[Philomène, 38 ans, généalogiste]

 

On ne va pas très souvent au cinéma entre copines, car se mettre d’accord sur un film est un vrai casse-tête. Quand on décide d’y aller quand même, j’essaie toujours d’avoir le dernier mot — j’ai plutôt une grande gueule. Si le film est nul, bah, je mets ça sur le dos des autres, ni vu ni connu !

[Manon, 20 ans, étudiante en Socio.]

 

J’ai un problème avec l’autorité — ou plutôt, l’autorité a un problème avec moi ! Les flics, par exemple, je leur glisse toujours entre les doigts grâce à une mauvaise foi d’enfer : « Vous me faisiez signe, à moi ?! Je vous jure que je croyais que c’était à la voiture bleue ! Non, non, je ne téléphonais pas, je mettais mon G dans une autre poche ! » Et voilà, je m’en tire (je, mentir) presque toujours...

[Léa, 30 ans, représentante en parapharmacie]

 

Je pense que la mauvaise foi est une vertu en politique, on ne peut pas tout dire, il faut faire rêver les gens, convaincre, s’arranger parfois avec la réalité. Je crois que les électeurs le savent, ils acceptent une certaine dose de mauvaise foi, ils la pratiquent ou la dénoncent dans leurs conversations, ça fait partie du jeu. Et il vaut mieux jouer que de s’entretuer !

[Camille, 42 ans, conseillère en communication]

 

Moi je traque la mauvaise foi au point de friser la parano : le chauffeur de taxi qui vous jure que vous lui avez donné un billet de dix euros et pas un de vingt ; le serveur qui ajoute la date à l’addition et qui plaide, les yeux mouillés, la distraction (authentique, on a essayé de me taxer de 4,5 euros supplémentaires un 4 mai !) ; la collègue de bureau qui jure vous avoir rendu le DVD de « La Vérité si je mens » (un comble !), alors qu’il est au fond de son sac ! La mauvaise foi nous entoure, au secours !

[Hugo, 34 ans, architecte]

 

J’espère que ma copine était de mauvaise foi quand elle m’a dit un jour que j’étais un artiste mondialement inconnu...

[Sigmar P., 47 ans, plasticien]

 

Oh, la pintade qui m’assure qu’elle était arrivée dans la file avant moi chez le boucher ! Et le jeune ballot qui raconte en réunion que je ne lui ai jamais donné de copie du projet ! Et l’amie d’un ami qui me rend la bagnole avec une griffe toute fraîche et qui m’assure qu’elle y était déjà ! Gloire à vous, goujats, pintades et ballots, vous m’avez appris à vivre en société !

[Jeanne, 36 ans, professeur de morale]

 

Savoir très bien qu’on cache quelque chose, qu’on travestit à peine la vérité pour avoir raison, que les arguments qu’on emploie ne sont pas très solides — et faire comme si on était sincère : voici la beauté de la mauvaise foi, sa subtilité ! Ici on ne ment pas grossièrement, on tire juste un peu la dialectique par les cheveux — il en faut du talent...

[Carla, 41 ans, diplomate]

 

Remercions le philosophe pour l’immense service qu’il a rendu aux thérapies comportementales cognitives ! Sartre a montré, dans l’Être et le Néant, que la présence de la mauvaise foi chez l’homme était incompatible avec la notion d’inconscient, chère à Freud. Oublions les cures longues et contraignantes ! Modifions plutôt ces comportements qui nous gâchent la vie ! À bas Sigmund, vive la mauvaise foi, vive Jean-Paul !

[Simone de B., 64 ans, thérapeute]

 

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