« Big Bang ! Le jour où j’ai pété les plombs au bureau... »

— une enquête de Noëlle Clou pour Gael

[Publiée en mars 2006 p.188]

 

 

 

Il y a quelques années la température est montée à plus de 36° dans l’entreprise. Comme la salle des ordinateurs était la seule qui soit climatisée (avec le bureau du patron), tout le monde s’y réfugiait pour souffler un peu. Ça entrait et ça sortait sans arrêt – les ingénieurs ont commencé à râler. Un petit nouveau s’en est pris à moi alors que je n’étais là que depuis trente secondes, toute discrète, sans gêner personne. Il insistait lourdement sans m’écouter. Comme il a fini par me pousser, la moutarde m’est montée au nez. Je lui ai dit de s’occuper de ses machines et de me lâcher. Il a arraché mon badge, ouvert une fenêtre et l’a jeté cinq étages plus bas, dans le parking. Ça l’a fait rire et ses copains aussi. J’ai regardé autour de moi, j’ai vu un paquet de fils qui sortaient d’une machine et j’ai crié que s’il n’allait pas le chercher immédiatement, j’arrachais tout ! Je criais comme une folle et les ingénieurs paniquaient parce que c’était l’ordinateur central. Dès qu’ils faisaient mine de s’approcher, je hurlais encore plus en tirant sur les câbles. J’ai finalement récupéré mon badge, puis allumé une cigarette que j’ai fumée entièrement, là, en faisant tomber la cendre par terre – délicieux.

[Ghislaine, 28 ans, maquettiste]

 

C’est la première fois que je raconte cette histoire. Je suis engagée à l’essai comme journaliste. Après six mois au service étranger, j’apprends que le directeur veut me voir – on m’a dit qu’il hésite entre moi et une autre pour le poste. Rendez-vous est pris à quinze heures. J’attends nerveusement qu’on m’appelle. À seize heures toujours rien. À dix-sept heures encore moins – je passe la tête mais la secrétaire fait non d’un air embarrassé. Je demande si j’ai le temps d’aller aux toilettes. Elle m’indique une porte que je ne connais pas « réservée à la direction ». Je me perds un peu dans les couloirs puis trouve. Vite, vite, ne traînons pas, je me recoiffe et... comprends soudain que c’est fichu – il faut taper un code pour sortir des lieux ! C’est quoi ce binz ? Je suis coincée, j’appelle, je crie, je donne des coups de poings contre les murs – personne ne répond. Et mon GSM qui est resté à la rédaction... J’ai craqué en silence, c’était affreux, un coup de mou comme un fusible de paraffine, je suis tombée dans les pommes... Le service du nettoyage m’a libérée en pleine nuit. J’ai appris le lendemain que le directeur avait quitté la société cet après-midi-là pour passer avec armes et bagages à la concurrence. Sa secrétaire l’avait suivi le soir-même...

[Sabine, 37 ans, journaliste]

 

J’ai retrouvé du travail il y a dix mois après avoir quitté mon ex qui était aussi mon supérieur dans une clinique privée. Il m’avait promis pendant trois ans de divorcer et de m’épouser – sans que je ne voie rien venir. Il m’avait fait avorter aussi, prétextant qu’il n’était pas encore mûr – à 38 ans ! J’ai appris récemment qu’il n’avait jamais été marié et qu’il était père de Timothée, un gamin de deux ans ! J’ai fait mes calculs et compris que le petit avait été conçu avec une autre alors que nous étions ensemble ! Mon sang n’a fait qu’un tour, je me suis rendue à mon ancienne clinique pour lui dire deux mots. Il a joué les innocents dans son bureau et j’ai explosé. Je voulais le gifler mais il m’a poussée dehors et s’est enfermé à clef. En voyant son 4x4 chéri sur le parking j’ai eu l’idée de lui griffer toutes ses portières. J’avais la rage, j’ai continué sur le capot, tordu les essuie-glaces et cassé ses phares à coups de talon. L’alarme a déclenché, tous ses collègues du labo m’ont vue mais personne n’a bougé. Courageux, les hommes ! L’affaire en est restée là, il n’a pas porté plainte. Ma mère trouve que j’ai un tantinet sur-réagi... C’est bien possible – mais ça défoule !

[Valérie, 35 ans, laborantine]

 

J’ai été témoin d’une scène d’humiliation dans ma boîte de publicité et je n’ai pas pu m’empêcher d’intervenir. C’était début décembre, période de folie à cause des vœux d’entreprise qu’il faut sortir et qui viennent en plus du boulot normal. Un livreur de pizza arrive et sort sa marchandise – il est pressé de repartir. Le directeur artistique ne trouve pas sa commande et commence à gueuler. Le gars vérifie le bon, tout est là. Le directeur s’énerve, prétend que le type est en retard, comme toujours, et que c’est sûrement parce qu’il est étranger et qu’il ne connaît pas la ville. Le gars appelle calmement sa centrale, tout est normal, commande et délais. Le chef monte dans les tours et insulte carrément le livreur, le traitant de minable et de raté, infoutu de comprendre « notre » langue. Le gars reste zen et demande son argent ; « Ah bon, parce qu’on sait compter dans ton pays ? » C’en était trop – j’ai pris à pleines mains ma Bismark et la lui ai colée dans la figure – l’attentat pâtissier dans toute sa splendeur ! J’ai été virée le lundi suivant mais je ne regrette rien : qu’est-ce que c’était bon ! Je garderai toute ma vie l’image des rondelles de saucisson que mon patron a eues un instant à la place des yeux !

[Carole, 27 ans, graphiste]

 

Vous allez rire, je me suis longtemps pris pour un hérisson. Ces bestioles m’ont toujours fasciné au point que j’ai tourné un petit film sur elles quand j’étais enfant – à genoux, caméra au ras des sous-bois pendant tout un automne. Mes premières crises de schizophrénie sont venues à l’adolescence, je me dédoublais soudain en cyclope géant armé d’un bâton, puis juste après en hérisson bardé de plaques de métal. On m’a sorti de l’école, soigné, réintégré dans un autre établissement. Les médicaments m’on calmé, je me suis diplômé. Un beau jour au bureau (un grand magasin de meubles en kit), un collègue vient avec sa fille. Elle tient une cage en main ; au fond, caché sous des boulettes de papier et des copeaux de bois, se trouve un hérisson âgé de quelques semaines que sa mère a rejeté... Je suis tombé à quatre pattes et j’ai foncé dans un tas de cartons d’emballage. Je couinais et je grattais le sol – mais je contemplais aussi la scène de haut, et ce n’était pas moi, c’est ça le plus pénible. Mon collègue a ri un moment, puis la fillette a dit que j’étais fou, elle reculait vers la porte en protégeant sa cage. Ça ne m’a plus repris depuis – je suis de nouveau « normal ». Même si je prends mon lait le matin penché sur ma soucoupe...

[Guy, 40 ans, comptable]

 

Ma liaison Internet est tombée en panne un jour au bureau. J’ai appelé une hot-line comme on dit, poussé sur quarante-deux touches différentes (suivies d’un carré), écouté des kilomètres de Vivaldi, perdu un temps fou à vérifier des mots de passe et des comptes-client, parlé à des robots (« Vous êtes en liste d’attente, en position numéro... SIX » – lequel robot me prévient gentiment que je suis « monitorée », quézaco ?!)... On décroche enfin, j’explique mon problème – mais le type en face (qui doit se trouver à Bombay ou à Mexico), me prend manifestement pour une débile. Il me demande si j’ai allumé mon ordi, si je sais ce que c’est qu’une souris, un clavier, un menu... Il est persuadé que j’ai fait une fausse manœuvre alors que je lui répète pour la millième fois que j’ai juste allumé ma machine, on/off, comme tous les matins ! Il me coupe sans arrêt puis... plus rien, la ligne devient muette ! Je rebelote, retape mes codes, réécoute les 24 Saisons et réexplique tout par le début à une charmante chinoise (ou moldave, ou bordelaise). Elle me prend aussi pour une demeurée (ça doit être la consigne maison : assurez-vous que le client ne veut pas laver son linge, ou programmer son magnétoscope, ou moudre du café). J’ai fini par hurler et donner des coups de poing sur mon clavier, complètement bloqué... Un type d’un autre étage est venu m’aider, il m’avait entendue par la fenêtre ouverte. C’est mon mec depuis – les hot-line et les coups de sang ont parfois du bon !

[Alexandra, 32 ans, avocate]

 

© Noëlle Clou.

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