Diable

 

 

    « Bonjour à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés ! » Et merci encore à ceux d’entre vous qui nous envoient leurs cassettes, les meilleures seront diffusées plus tard dans l’émission. À ce propos, vous avez remarqué ce qui arrive parfois chez le photographe ? Vous lui apportez vos pellicules à développer, il vous donne un ticket, vous revenez le lendemain et là, surprise ! vous découvrez que certaines photos manquent, que d’autres ont fait leur apparition et que quelques-unes portent des traces mystérieuses dans un coin de l’image... Le vendeur vous jure qu’il n’y est pour rien, vous explique que les marques noires, là et là, sont probablement dues à votre doigt qui ne tenait pas bien l’appareil, ou à vos lunettes de soleil qui ont glissé, bref, c’est la vie — et 45 euros, merci !

    Moi ça m’est déjà arrivé, mais en rentrant à la maison, j’ai examiné les négatifs. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé d’explication à certaines marques, bref, je me suis demandé si.... Mais, chûuut ! Je vous parle de tout ça après une première série de films consacrés aux animaux. Si je continue tout de suite avec mon histoire, vous allez me prendre pour un dingue !

    Moteur ! »   

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    « Alors, mes histoires de photos... En les examinant, je me suis donc demandé si le coupable n’était pas... le Diable ! Belzébuth ! Lucifer ! Méphistophélès ! Satan ! Le Démon ! Le Malin ! ...

    — « Euh, Fred, tu n’exagères pas un peu avec les synonymes, là ?! On a compris, non ?! ... Ah, c’est le thème de l’émission !? — Le Diable ? ... Bon, d’accord... »

    Donc, je me suis demandé si ce n’était pas une... une force mystérieuse et maléfique qui s’acharnait contre moi, parce que ça fait des années que ça dure, ces histoires de photos ratées, nom d’un chien !

    Tiens, ça me rappelle Uri Geller, vous vous souvenez, le type qui pliait des petites cuillers à distance, eh bien il se vantait aussi d’impressionner la pellicule d’un appareil photo sans y toucher, rien qu’avec la puissance de son esprit... Hum !

    Il s’est fait coincer un jour par quelqu’un qui avait remplacé l’objectif de l’appareil par un « fish eye », un objectif très large qui prend tout le champ visuel, même ce qu’il y a sur les côtés : sur une des images on voit très bien un bras et une main qui viennent soulever rapidement le bouchon de l’objectif pour faire entrer un éclair de lumière et impressionner la pellicule...

    Pas bien ça de tricher ! Mais peut-être que notre illusionniste s’est fait manipuler par des forces supérieures ? Qui sait ! »

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    « Ah, les enfants qu’on vient de voir sont souvent appelés « petits diables », vous comprenez pourquoi maintenant ! Tiens, d’où vient le mot de « Diable » ? Eh bien, approchez-vous, serrez-vous contre moi, fermez bien les portes et les fenêtres... et tendez l’oreille.

    Au 3e siècle après J.-C., des lettrés juifs d’Alexandrie, en Égypte, qui traduisaient les livres de l’Ancien Testament, rencontrèrent à plusieurs reprises le mot hébreu « Satan », qui vient d’un verbe signifiant « accuser » ou « s’opposer ». Ils choisirent de le transcrire par « Diabolos » — calomniateur, en grec — qui fit « Diabolus » en latin.

    Et qui était ce « Satan » de l’Ancien Testament — dont on trouve d’ailleurs des traces bien antérieures dans d’autres contes et récits d’Iran, par exemple ? Il semble que ce soit le nom d’un Ange, très proche serviteur de Dieu, Ange accusateur de l’homme et de ses péchés. Pour une raison inexpliquée cet Ange, qui avait été crée bon, s’est révolté contre Dieu, entraînant à sa suite d’autres Anges. Satan, c’est lui, l’Ange de Lumière devenu Prince des Ténèbres, inaugurant le mythe de la chute, et de l’irruption du mal sur la Terre. Son premier acte sera la tentation d’Adam, d’où son titre, dans les Écritures juives et chrétiennes, de « Père du Mensonge ».

    Je vous raconte la suite après ceci... Restez groupés ! »

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    « Toutes les religions, en fait, croient en des esprits malfaisants. Et toutes les mythologies, ou presque, racontent le combat entre le Bien et le Mal, les Lumières et les Ténèbres etc. Ce mal s’est incarné sous des noms très divers : « Lucifer » dont le nom signifie en latin « porteur de lumière », car il était le premier et le plus beau des Anges, ces « astres du matin » qui éclairaient le Monde. Ou alors « Béliar », crée juste après Lucifer, et qui entraîna lui aussi la plupart des Anges dans la révolte. Une légende veut que le Roi Salomon soit venu à bout de ses maléfices en l’enfermant, lui et son armée de 522 290 démons, dans une bouteille !

    On trouve encore « Samaël », qui se transforme en serpent, lui aussi, pour tenter Ève dans le Jardin d’Éden. Ou « Azazel », qu’on identifie souvent au Dragon des Enfers, chargé de dévorer les pécheurs ou au « Souverain des boucs », à qui l’on devait envoyer un tel animal dans le désert justement, pour expier ses fautes, d’où l’expression « bouc émissaire »...

    « Asmodée » est le tout puissant démon de la luxure, d’origine persane. Il s’intéresse aux jolies filles et s’efforce d’empêcher qu’elles se marient. Lassé de le surveiller, l’archange Raphaël l’aurait emprisonné au fin fond de l’Égypte... 

    Allez, restons dans le sable et la boue avec ceci ! Moteur ! »

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    « Bon, c’est vrai que le diable c’est pratique. Quand on ne veut pas endosser la responsabilité d’une catastrophe, il suffit d’y voir la main du diable ! Par exemple, si un studio de télévision est surchauffé, il suffit d’invoquer Satan, toujours à l’aise dans les flammes de l’Enfer, hein Fred !?

    - Dis, chou, tu ne mettrais pas l’air conditionné — on meurt ici !? Ah, ça fait du bruit ?! Tu le branches dès que j’ai fini ?

    Eh bien d’accord, accélérons, allons 666 fois plus vite !

    Vous avez compris la fine transition, le « Chiffre de la Bête », c’est 666. C’est ce qu’on lit au chapitre 13 de l’Apocalypse de Jean, dernier tome du Nouveau Testament, écrit en l’an 96 de notre ère. Mais de quelle bête s’agit-il ? Dans ce texte on voit une première Bête « surgir de la mer, portant sept têtes et dix cornes »; puis une seconde « qui surgit de la terre, au service de la première ». Cette bête légendaire pouvait désigner l’Empire romain, qui n’était pas tendre en ce premier siècle avec les Églises naissantes. En effet, en remplaçant les lettres de « César-Néron » selon un code spécial, on obtenait 666.

    Depuis ces mots célèbres, 666 est associé au Diable ou à l’Antéchrist. Il est très simple, en remplaçant chaque lettre d’un texte par son rang dans l’alphabet, de faire dire ce qu’on veut à certaines formules. Comme par exemple :

    – « 666 ! Qu’est-ce qu’il fait chaud ici ! »

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    « Ouf, quand ça se met à jouer faux, un musicien, ça fait mal aux oreilles ! Et celles du diable, à propos d’oreilles, sont extrêmement sensibles ! Grandes, allongées, pointues, pleines de poils, beuark ! Les représentations de ce Monsieur sont souvent repoussantes et pourtant il a commencé sa carrière à la droite de Dieu, beau jeune homme à chevelure blonde et soyeuse. Mais voilà, après sa chute, les plumes de ses ailes se sont transformées en écailles, ses doigts en griffes, ses pieds en sabots fourchus et deux cornes lui ont poussé sur le front. Botticelli lui peint même trois bouches sur le visage, afin de dévorer les damnés en enfer.

    On trouve de nombreux portraits du diable dans les peintures religieuses qui ont pour thème l’Apocalypse, ou le Jugement Dernier, ou les Enfers, justement. Il s’agissait d’effrayer le bon peuple et les artistes s’en donnaient à cœur joie. Mais au fil du temps le statut de Satan évolua et sa figure devint moins monstrueuse. Le mouvement romantique redora franchement son blason en le transformant en héros persécuté mais irrésistible, presque sympathique.

    Aujourd’hui la figure du diable serait plutôt celle de votre patron, ou du voisin, mais c’est une autre histoire !

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    « Il y a beaucoup d’histoires merveilleuses sur le diable. Celle-ci par exemple, qui date de l’époque où on ne le prenait pas du tout au sérieux. Elle se passe au moment de la création du Monde, et le Diable essaie d’y participer.

    — Quand Dieu créa le chien, Satan façonna le loup, mais ne put lui donner vie. Alors Dieu lui dit : « Pour l’animer, tu dois lui souffler sur le museau en disant : ‘Mange-moi !’ ». Le Diable obéit et souffle sur le museau du loup en prononçant la formule. Le loup se réveille alors, se précipite sur lui et lui mord le pied jusqu’au sang. Voilà pourquoi le Diable est boiteux.

    D’autres légendes le montrent berné par les humains. Dans les histoires de ponts, par exemple. Ces « ponts du Diable » se trouvent dans toute l’Europe, ils sont en général très fins et élancés au point de marquer les esprits des voyageurs. L’histoire qu’on retrouve partout dit que l’architecte du pont, incapable de terminer son ouvrage, demande à Satan de l’aider. Celui-ci est d’accord, mais à une condition : que l’âme de la première créature qui empruntera le pont lui soit offerte. L’architecte accepte et le pont est achevé en une nuit. Au matin, toute la population du village se réunit et se met en marche. Mais elle se fait précéder par un chat, bien sûr...

    Quelques autres animaux diaboliques, à présent ! »

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    « Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire de l’humanité, on note que certaines personnes furent soupçonnées d’avoir signé un pacte avec les forces du Mal. Ainsi le Faust de Goethe qui, en échange de son âme, obtient du Diable des pouvoirs surnaturels. L’âme, soit dit en passant, semble être la monnaie préférée du Démon, puisque c’est ainsi, nous l’avons vu, qu’il se rémunère pour construire des ponts. Ce qu’il fait avec toutes ces âmes, mystère ! Il les dépose probablement à la banque, puis s’en va narguer Dieu : « J’en ai plus que toi, là là là ! »

    Jusque là, ça va, mais où ça devient moins drôle, c’est quand on se met à persécuter. Et là l’histoire de l’Inquisition et de la sorcellerie devient tragique. Le mot sorcier apparaît vers l’an 600 de notre ère. Il signifie « jeteur de sort ». Très vite, vers l’an 900 on accuse certains paysans, mais beaucoup plus souvent des paysannes, de nuire à autrui en faisant appel à des forces maléfiques . Si certaines moissons dépérissent, si certains troupeaux sont décimés, c’est de la faute des sorcières qui leur ont jeté un sort. Elles seront des milliers à être ainsi poursuivies, torturées puis finalement brûlées par les autorités religieuses mais aussi laïques qui les accusaient de « s’adonner au culte du démon ». En réalité elles s’opposaient souvent à la nouvelle société qui se mettait en place, et cela était inacceptable...

    Le surnaturel, aujourd’hui, c’est la télévision ! Pas vrai Fred !?

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    « Et le Diable aujourd’hui ? Eh bien il semblerait qu’il ait complètement disparu de nos sociétés matérialistes. Comme Dieu d’ailleurs, dont les philosophes nous annoncent depuis quelque temps qu’il est mort. Le pape Pie XII pourtant, en janvier 1953, invitait les catholiques à une véritable croisade contre la télévision dont il stigmatisait l’amoralité et dont il annonçait qu’elle allait « ruiner spirituellement les âmes innocentes ». La télévision serait l’incarnation contemporaine du Mal ? C’est lui faire trop d’honneur, pardi ! Et puis cette critique avait déjà été faite au cinéma, dès ses débuts. Pas tant pour des films mettant en scène le Diable, de manière plus ou moins directe, comme le « Faust » de Murnau, le « Septième Sceau » de Bergman, ou « Rosemary’s Baby » de Polanski, que parce que — je cite — cet art suggère les passions, aide à leur défoulement et flatte le voyeurisme du spectateur, comme l’indique le « Dictionnaire du Diable » que je viens de lire avant l’émission... On y trouve aussi cette remarque que c’est par la séduction que Satan opère, par le charme et la magie — de là à penser aux effets spéciaux d’aujourd’hui...

    N’oublions pas non plus que l’art suprême du Malin est de faire croire qu’il n’existe pas... méfiance donc !

    Allez, on se repose un peu de tout ça avec quelques angelots fatigués !

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    « Voilà, c’est avec cette dernière série de vidéos d’enfants sages que nous allons prendre congé de vous. J’aurais aimé comme toujours vous parler de deux ou trois autres petites choses, comme de Belzébuth, par exemple, dont le nom signifie « Maître des Mouches », et qu’on représente souvent avec un œil immense, ou du Léviathan, ce monstre maléfique qu’on rencontre dans le livre de Job, sorte de dragon aquatique ou de serpent de mer à la gueule menaçante.

    Mais voilà, il faut laisser la place à la suite des programmes.

    Je vous rappelle l’adresse à laquelle vous devez continuer à nous envoyer vos meilleures cassettes, elle défile actuellement en bas de l’écran.

    Faites bien attention à ne pas laisser traîner une phalange devant l’objectif, ou la ficelle de la housse, ça n’a rien à voir avec le Diable, c’est plutôt de la maladresse comme dit mon photographe !

    À la fois prochaine !

 

 

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