Les figures de style

 

 

    « Bonsoir à tous et toutes et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés ! » Nous avons encore un joli paquet de vidéos à vous proposer ce soir... Et à propos de paquet, c’est à Mme B..., de Peruwelz, que nous allons envoyer notre cadeau du mois : il s’agit toujours de long-métrages comiques français ! Nous découvrirons plus tard dans le programme sa séquence « robot » drôle et bien tournée. Faites comme elle, filmez tout ce qui bouge, c’est le printemps, c’est le moment, il y a de la lumière, les arbres bourgeonnent, les gens sont foufous, ils pètent les plombs, ils empilent les bêtises, à vos caméscopes, ce sera tout bon !

    La phrase que je viens de prononcer présentait une paradiastole, vous avez remarqué ? Non ? Vous pencheriez plutôt pour l’hypozeuxe ou la subnexion ? C’est à voir...

    On en reparle après une petite compilation motorisée de dessous les fagots...

    Et ça c’est une métaphore...

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    « Ah, le plaisir qu’éprouvent certains à se prendre des gamelles comme ça... Ça restera pour moi un des grands mystères de l’âme humaine, mais, bon, du moment que ces jeunes gens pleins de testostérone ne nous roulent pas sur les pieds... liberté !

    Donc, la rhétorique. C’est l’art des beaux discours, et c’est ce que vous souhaitez par courrier : du simple et du clair. Mais simple ne veut pas dire simpliste ! Et la clarté n’exclut pas la nuance ! Notre belle langue française nous donne de formidables outils pour ça, et la paradiastole que j’évoquais tout à l’heure en est un bon exemple. C’est un mot savant pour qualifier une phrase qui accumule des unités de même syntaxe, rythme et longueur. Et c’était le cas avec : « C’est le printemps, c’est le moment, il y a de la lumière, les arbres bourgeonnent, les gens sont foufous, ils pètent les plombs... » etc.

    Mais le premier procédé rhétorique reste bien sûr la catachrèse... Catachrèse... On dirait une injure du Capitaine Haddock... Nous y reviendrons...

- « En attendant, séquence ‘Animaux’ - première ! »

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    « Ah, être un animal, parfois... N’avoir d’autre souci que de dormir et manger... Avec de temps à autre, vers cette époque-ci de l’année, des fourmillements dans... les genoux ! Mais les animaux ne sont pas doués de parole, les pauvres ! Ou alors ils se taisent, échaudés par l’accueil glacial des humains ! Et ça c’est une catachrèse, justement, cet emploi décalé des mots : « échaudé par un accueil glacial » !

    La catachrèse peut être involontaire aussi, comme dans « une voiture d’un bleu rutilant » - puisque « rutilant » veut dire « rouge » ! Ou dans l’expression « saupoudrer de sucre » puisque « saupoudrer » veut dire « poudrer de sel » ! Mais il n’y a que les puristes qui tiqueront, les autres catachrèseront sans sourciller, et ils auront bien raison !

    Balzac, par exemple, dans le Père Goriot, catachrèse à mort quand il évoque une salle à manger « plaquée de buffets gluants », pleine de « petits paillassons piteux, de chaises estropiées et de mobilier borgne ». Ça vous a de l’allure, tout de même, ces mots du corps mis pour des objets !

    Allez, on passe aux cata, tout court, et aux enfants !

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    « Pauvres petits ! Victimes éternelles de leur taille et de leurs moyens, trop faibles pour se défendre dans ce monde impitoyable... Vivement qu’ils causent, car le langage est une arme : pour résister d’abord, puis pour contre-attaquer ! La langue est un puissant levier pour soulever le monde !

    Et ça c’est une métaphore, soit la reine des figures de style qui tuent ! La métaphore est une image, un moyen de faire comprendre quelque chose en passant par la bande, comme au billard, et ça c’en est une autre, de métaphore !

    La métonymie n’est pas mal non plus, comme dans : « Cet homme n’a pas de cœur ». Il a un cœur, bien sûr, mais pas de bonté. De même quand la salle applaudit, on veut parler des humains qu’elle contient, qui applaudissent, et pas des murs... Et le « sommet européen de Bruxelles » n’est pas le Mont Blanc qui serait venu jusqu’ici sur ses petites pattes : c’est une réunion de chefs d’État, évidemment !

    Allez, tous en piste pour quelques images de sport !

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    « Le sport, pour moi, ce serait plutôt de refuser les invitations des copains. Ils veulent toujours me mêler à leurs joggings, m’entraîner à faire du vélo dans les bois, ou me pousser à traverser la Meuse à la nage... Merci les gars, aux triathlons je préfère les troisièmes mi-temps... n’insistez pas !

    Les hendiadyns ne sont pas mal non plus ! Il s’agit d’une déconstruction du genre : « Il rêvait d’admiratrices et de délires » alors qu’on s’attend à : « Il rêvait d’admiratrices en délire ». On sera d’accord avec Hugo pour juger que : « Penché sur l’onde et sur l’immensité » sonne mieux que le simple « Penché sur l’immensité de l’onde », non ?

    L’hypallage - ah ! quel beau mot !- l’hypallage donc, déplace les adjectifs pour faire son intelligente. Écoutons Patrick Modiano : « Ils ont commandé des cocktails d’une écœurante et inutile complication »... Ce sont les cocktails qui sont écœurants, et pas la complication, mais c’est si bien dit... 

- « Et un cocktail magique de cérémonies, un ! »

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    « Une autre figure de rhétorique, simple et forte est la pétition. On connaît le double « Hélas, hélas ! » de De Gaulle à l’occasion du putsch d’Alger. C’est une figure de style qui a pour joli nom épizeuxe. Citons aussi le triple « Waterloo, Waterloo, Waterloo, morne plaine ! » de Victor Hugo.

    Pour la construction que voici - attention, c’est du Alfred de Musset, écoutez bien : « J’ai perdu ma force, et ma vie, et mes amis et ma gaieté », on parle de polysyndète, autre figure de répétition.

    Allez, encore quelques exemples sympas de répétition, puis on passe à la série de films suivante.

    D’abord une anadiplose de Prévert« Un buffet Henri 2, deux buffets Henri 3, trois buffets Henri 4... »

    Ensuite une épanalepse de Malherbe : « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses... »

    Et enfin une antanaclase de Pascal« Le cœur a ses raisons que la raison ignore... »...

    Ouf, à vélo, à vélo, à vélo !

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    « On tient mieux sur deux roues que sur une seule, comme vous avez pu le voir et il vaut mieux dire les choses deux fois plutôt qu’une, quand on veut être compris. C’est pourquoi nous allons revenir sur les répétitions - pas mal ça : « revenir sur les répétitions ! », mais les répétitions sonores.

    Tout le monde connaît l’allitération, comme dans « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » et tout le monde se souvient des « Papas papous à poux pas papas » de Gaston. Ce sont des répétitions de sonorités.

    Voici un cocktail d’anaphores, d’assonances et de rimes :

« Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J’écris ton nom »

    Vous avez reconnu la Liberté d’Éluard, bien sûr ! - ... Euh, l’anaphore c’est quand plusieurs vers commencent par le même mot, l’épiphore c’est le contraire - le même mot à la fin -, et la symploque combine les deux - fin de la parenthèse et ... Aspirine pour tout le monde !

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    « Allez, re-bonsoir à tous, on enchaîne... Fred ?!... Tout le monde est là, on peut y aller... Une répétition ? Non, c’est déjà fait, on passe aux redondances, si tu veux bien !

    Premier exemple de redondance, le pléonasme, qui traîne une réputation épouvantable et qu’on rencontre dans des expressions comme « panacée universelle », « projet d’avenir » ou « animateur crispant » - merci !

    On trouve ensuite la battologie - mot qui vient de Battos, un ancien roi grec bègue - c’est une accumulation inutile comme dans « il est mort et enterré » ou dans « C’est fini N-I, ni ! »

    Nous avons également la périssologie en magasin, qui consiste à ajouter des détails superflus : « Je l’ai vu de mes yeux ». La tautologie, elle, tourne en rond : « Un sou est un sou » ou « Les ordres sont les ordres » ! Enfin l’explétion est une phrase gonflée aux hormones : « Qu’est-ce que c’est que ce type que nous on trouve que lui il devient si tellement compliqué que... »

    Fred, moteur ! 

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    « Bien, nous allons faire une petite pause dans ce bombardement stylistique. Une pause avec « a-u », comme ça (...), pas une pose avec « o », comme ça (...) Il y a 30 ans à Liège, quelques chercheurs regroupés sous la lettre « Mu », se sont moqués des gens qui veulent désigner toutes les figures de rhétorique possibles par des termes à base de grec et de latin. Remarquez, ça pourrait être drôle. On ne dirait plus : « C’est tiré par les cheveux » mais « c’est capilotracté » . On remplacerait : « Ça coûte les yeux de la tête » par « ce tarif est céphalophtalmique » - et merci à Alphonse Allais pour cet exemple !

    Donc, messieurs les savants... un peu de simplicité s’il vous plaît : qui peut deviner que les homéotéleutes sont des sons que nous répétons au long d’un tronçon de sermon ? Person !

    Bon, notre compilation suivante s’attache à quelques animaux remarquables, ni poètes, ni rhétoriqueurs, ni Liégeois mais drôlement intéressants quand même. Voici une petite christomatie quadrupède ou, si vous préférez, de tétrapodes analectes !

    Ça y est, ça recommence ! ...

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    « Vous imaginez sérieusement si les animaux parlaient ? On serait toute la journée dans les fables de La Fontaine, les chiens viendraient se plaindre de leur collier et les chats de la nourriture ! Certains spécimens à quatre pattes émergeraient du lot et feraient sûrement deux ou trois choses mieux que nous... comme présenter des programmes à la télé par exemple ! Mais nous aurons toujours une longueur d’avance ! Nous connaissons la clausule, qui n’est pas un petit texte illisible au bas d’un contrat d’assurance, mais une chute rythmique bien dessinée. Écoutons Danton, en septembre 1792 : « Pour les vaincre messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ! » Ah la belle clausule que ce : « et la France est sauvée ! »

    Les animaux connaissent-ils le chiasme ? Nenni ! C’est pourtant la plus connue de toutes les figures rhétoriques dites de construction, comme l’affirme le « Que sais-je ? » n°1889 que je viens de lire avant l’émission !

    Mais nous en reparlerons après cette séquence chérubins !

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    « Le film avec le petit robot maladroit que vous venez de voir est celui de Madame B..., de Peruwelz - et je précise que le robot était à gauche de l’écran car toutes ces histoires de clones et d’avatars finissent par m’embrouiller - je plaisante, Madame B... ! Vous allez recevoir plusieurs longs métrages comiques français, comme Le Pari ou les aventures d’Astérix et Obélix contre César... Voilà...

Merci Fred, tu pourrais me laisser un peu plus de place à l’image... oufti, merci !

    Allez, un rappel de notre adresse où envoyer vos cassettes, « Souriez vous êtes filmés », BP 6, Schaerbeek 6 et on expédie ce fichu chiasme qui commence à m’énerver... Fred, c’est toi qui écris les textes aussi ?! Mmmmh !

    Donc le chiasme est une construction symétrique en miroir, comme ici : « Dans l’eau fuyante tremblaient des colonnes, et des ombres glissaient sur la passerelle »... Complément-verbe-sujet... sujet-verbe-complément... !

    Madame Simone, de Beauvoir, chapeau !

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    « L’antimétabole est un cas particulier de chiasme. Vous la connaissez tous, l’antimétabole, pfff ! - écoutez l’Avare de Molière : « Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger ! » - Vous voyez la construction ! De même pour cette définition du jeu d’échecs : « Le roi des jeux et le jeu des Rois ».

    La formule : « Il a fait preuve d’un certain courage, voire d’un courage certain » en est une aussi, d’antimétabole, mais usée jusqu’à la corde, allez, hop ! du balai !

    L’oxymore, en revanche, est une figure très célèbre et très chic, à placer de temps en temps. On dit aussi oxymoron mais oxymore est beaucoup plus « tendance » ! - C’est une façon de mettre ensemble des mots normalement incompatibles, comme dans le célèbre vers de Corneille : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Une obscure clarté », vous voyez ce que c’est, vous ? C’est de la rhétorique ! D’autres oxymores ? Un « mort-vivant », par exemple, ou un vrai-faux passeport. L’« étincelle humide » de Verlaine, ou ce titre de Colette : « L’ingénue libertine ».

- « Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger ! »

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    « Ah ce n’est pas simple la caméra ! Pour bien filmer les chutes que nous venons de voir, il faut d’abord être là quand ça se passe. Il faut ensuite que l’on soit jà en train de filmer, sinon le temps d’appuyer et c’est trop tard. Il faut enfin que le cadre ne soit ni trop large - parce qu’on ne voit rien -, ni trop serré - car on se fait surprendre. Il faut surtout que votre beau-frère un peu (...) n’aie pas la bonne idée de venir faire coucou à la caméra juste au bon moment ! Bref, c’est galère parfois d’obtenir de bons résultats !

    Il est beaucoup plus facile, en fait, de se poster dans un lieu tranquille, comme la salle de bain et d’attendre que nos petits chéris s’en viennent jouer avec ce qui traîne... par exemple avec les rouleaux de papier toilette !

    Ce qui nous mène à l’hyperbate évidemment qui est... hyper bath ! C’est une construction alambiquée. Voici une hyperbate marseillaise : « Contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé... », c’est très fort ce « Contre nous de la tyrannie... »

    Bon, ça suffit, allez, revenons dans notre « bad » tout court, dans la salle de bain...

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    « Après ces images insoutenables, retour au style ! À l’hyperbole par exemple, qui est une exagération, comme de qualifier d’« images insoutenables » la gentille séquence que nous venons de voir ! Les rhétoriqueurs trouvent que l’hyperbole est la moins intéressante des figures. On est blasé en effet d’entendre dire sans arrêt que les choses sont géniales, sublimes, ignobles ou fantastiques. Avec des adverbes à trois sous, c’est encore pire : « c’est totalement divin ! » ... « c’est complètement abject » ! Bref, nous hyperbolisons tous quand nous parlons de « marché du siècle », de « plus grande émission de tous les temps », ou même d’« animateur superlatif » !

    La litote c’est le contraire - Chimène à Rodrigue : « Va, je ne te hais point ! »

    L’euphémisme fait les choses en douceur : « Je ne suis pas convaincu à 100% par votre analyse » - qui veut dire en réalité : « Vous avez tout faux mon vieux ! »

    Quant à la tapinose - oui, la tapinose ! - c’est presque de l’humour anglais : « Un fond totalement blanc serait pas mal ! ... »

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    « Chacun son tour ! » - Cette phrase vous l’avez tous prononcée ou entendue un jour alors que vous faisiez la file et qu’un petit malin essayait de s’intercaler. Elle est incomplète pourtant : « Chacun son tour ! » - il manque un verbe au moins, mais on comprend. Cette figure de style est une ellllipse et le français la pratique beaucoup. L’ellllipse est une façon d’enlever de la matière, de ne pas éclairer tout, de laisser le lecteur ou le spectateur se faire son cinéma.

    « J’étais debout, j’ai allumé la télévision, je suis tombée sur cette émission avec cet adolescent musclé, je me suis assise, nos regards se sont croisés, nous ne nous sommes plus quittés. Un véritable coup de tonnerre dans ma vie ».

    Encore une ellllipse que ce « Un véritable coup de tonnerre dans ma vie » - qui ne contient pas de verbe mais tellement de mots charmants !

- « Mes chers frères, mes chères sœurs, faisons l’ellllipse de ce mécréant et enchaînons avec de païennes grimaces... Amène ! »

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    « Voilà, ainsi se termine notre émission, je vous rappelle notre adresse, pour nous envoyer vos reportages et vos images drôles, pour nous demander aussi l’une ou l’autre rediffusion : « Souriez, vous êtes filmés », BP 6, Schaerbeek 6.

    N’oubliez pas le concours téléphonique que nous organisons au 0900 - 40 - 909, appelez vite, on vous expliquera tout au bout du fil, vous pouvez gagner, là aussi, des longs-métrages comiques comme Mme B...

    J’ai le temps de parler du zeugma encore ? Fred ?! Vite, alors : le zeugma c’est une façon de mettre ensemble des mots de nature différente comme dans « Elle alluma une cigarette et le jeune homme qui la regardait ». Ou même : « Elle trouva le lit vide et le devint aussitôt ».

    Allez, trêve de zeugmas et d’anacoluthes il faut rendre l’antenne : portez-vous bien et à bientôt !

 

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