Le temps

 

 

    « Bonsoir à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés ! » Une émission placée aujourd’hui sous le signe du temps — pas de la météo, hélas, qui n’est pas folichonne depuis six mois — mais du temps qui court à nos poignets ! — Jolie formule, ça ! C’est de qui ? Bravo Fred !

    Nos félicitations à Stéphanie A... et à Yves Gomezée pour leur... Non, pardon, je recommence !

    Nos félicitations à Stéphanie A... d’Yves-Gomezée pour sa petite séquence animalière bien tournée : nous vous la proposerons plus tard dans l’émission. Faites comme elle et envoyez-nous vos meilleures images à l’adresse habituelle — elle s’affiche ici dessous.

    Voilà, ne perdons pas de temps en 18, 19 ou même 20 bavardages car nous avons un courageux candidat qui nous attend en haut de sa colline !

    [en aparté] : Yves-Gomezée c’est où ça ? Près de Philippeville ?! T’es sûr ?

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    « Ah les arrivées à ski ! Si vous lâchez la corde trop tôt, vous devez nager pendant des heures — et si vous lâchez trop tard c’est l’infirmerie ! Tout est une question de timing, bien sûr ! Et le timing nous conduit... au temps, bien sûr !

    Or donc qu’y avait-il avant ceci qui court si joliment à mon poignet ? Eh bien rien ! Juste la succession des jours et des nuits ! Vous connaissez l’histoire de la création du monde, telle que la racontent les Chrétiens : au commencement Dieu créa les cieux et la Terre ; puis Dieu dit : « Que la lumière soit ! » et la lumière fut ; Dieu vit que cela était bon et appela la lumière « jour » et les ténèbres « nuit ». Ainsi il y eut un premier soir et un premier matin ...

    ... euh, le texte qui défile avec moi, là, c’est parce qu’on ne comprend pas bien ce que je raconte, paraît-il... Sympa !

    La Terre fut donc notre premier calendrier — un peu encombrant à porter sur soi, mais relativement efficace.

    Quelques rotations dans l’espace d’un autre genre à présent...

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    « La figure que nous venons de voir s’appelle un wheeling ! — acrobatie sur la roue arrière que nous ne vous recommandons pas, sauf si c’est pour la filmer !

    Et Dionysius Exiguus, vous voyez qui c’est ? Denys le Petit ? Un moine ! C’est grâce à lui que nous sommes en 2001 ! Il fut chargé par le pape Jean Premier, en l’an 532, de mettre un peu d’ordre dans le calendrier car on ne s’y retrouvait plus pour fixer la date de la fête de Pâques.

    Notre petit Denys échoua lamentablement sur ce point... Mais ses calculs l’avaient amené à se concentrer sur un 2e problème : la fixation du point zéro à partir duquel compter les années. Certains mettaient ce point zéro à la fondation de Rome, d’autres à l’arrivée de l’empereur Dioclétien sur le trône. Et là, Dionysius réussit... Il proposa que l’on compte les années à partir de la naissance du Christ, ce qui serait, estimait-t-il, un excellent moyen de faire de la publicité pour l’Église.

    Sa proposition fut adoptée et partit, lentement mais sûrement, à la conquête du monde entier...

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    « Ah, elle n’a pas envie de sauter à l’eau, elle ne saute pas, hein ! Faut pas forcer les gens ! Remarquez, la jeune fille essayait peut-être simplement de sortir de sa bouée, qui sait !

    Le plus drôle, avec l’histoire de Denys de Petit — et son calcul de la date de naissance du Christ — c’est qu’il s’est trompé de 5 ou 6 ans ! Le Christ serait donc né en –5 ou en –6 avant lui-même ! Pas mal, non !

    D’où viennent les 365 jours qui composent une année ? De Jules César qui suivit les conseils, en –46, de l’astronome Sosigène d’Alexandrie. Il le fallait, car les saisons avaient pris 3 mois d’avance à cause de la dérive du système : avant la réforme de César la durée de l’année était votée par le Sénat et changeait en fonction des pressions politiques ! César dut ajouter 90 jours à l’année en cours pour rétablir un semblant de cohérence ! C’est lui aussi qui fixa la règle qu’on ajouterait 1 jour à l’année tous les 4 ans.

    Je ne vous raconte pas la confusion qui s’ensuivit dans l’Empire romain !

« Je comprends rien, moi : et mon tour en bateau ?

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    « Adorables ces gamines, non ?

    Alors, où en étions-nous ? Au calcul de la fête de Pâques, attention, buvez un coup et relaxez-vous, c’est affreusement compliqué ! L’idée directrice du Concile de Nicée qui se tint en 325 de notre ère, était qu’il fallait empêcher à tout prix que la date de la résurrection du Christ ne soit fêtée en même temps que la fête juive de Pessah — Pessah c’est la célébration du passage de la Mer Rouge — oui, on était assez peu tolérant à l’époque, ça a changé, non ?

    Pour calculer cette date et éviter les télescopages fâcheux, le Concile édicta la règle suivante : Pâques tombera le premier dimanche suivant la première pleine lune ecclésiastique suivant ou coïncidant avec le 21 mars. La lune ecclésiastique — je n’invente rien — est une lune fictive, pas très éloignée de la lune réelle, un ou deux jours, et gouvernée par deux paramètres : le nombre d’or et l’épacte. Pfff !

    Allez, la suite après ceci. C’est une histoire de kangourous... Pas prêteur le kangourou, pas prêteur...

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    « Ah, pour une belle prise c’est une belle prise ! Où en étions nous ? À la fête de Pâques qui fixe un tas de choses dans notre vie, les congés scolaires, le tourisme, la vie des entreprises — bref tout un pan de l’économie de notre pays, de l’Europe et du monde ! Oui, oui !

    Et tout ça fut confié à je ne sais quel nombre d’or, Lune fantaisiste et autres épactes ! Dingue ! La raison en est simplement que la rotation de la Terre sur elle-même, la rotation de la Lune autour de la Terre et la rotation de la Terre autour du Soleil s’effectuent en unités qui ne se divisent pas exactement entre elles. On a toujours des virgule quelque chose qui viennent gâcher les comptes. Et comme on a décidé de faire de Pâques une fête mobile, c’est le chaos !

    Bon, l’épacte est l’âge de la Lune au premier janvier (en jours) et le nombre d’or est un nombre compris entre 1 et 19. Ne me demandez pas pourquoi, ni la formule qui mélange tout ça, c’est trop compliqué : il y a le cycle de Méton à considérer, plus la lettre dominicale...

     En revanche une petite aspirine... La régie... ?

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    « Bravo la famille Travelo, on s’amuse comme des folles je vois !

    Les histoires de calendriers sont abominablement compliquées mais la chronique de la mesure du temps n’est pas simple non plus ! Le premier système a consisté à regarder l’ombre que dessinait par terre le soleil. En fonction de la taille de cette ombre et de son orientation on voyait plus ou moins à quelle heure de la journée on était. Malheureusement la course du soleil varie tout au long de l’année — ce qui produit des ombres et des directions qui ne sont pas constantes dans le temps. De plus les cadrans solaires ne sont plus valables dès qu’on se déplace sur un axe nord-sud...

    Un moyen un peu moins rudimentaire consista à calculer la hauteur du soleil sur l’horizon. Rapportée au jour de l’année où se faisait la mesure et à l’endroit où elle avait lieu, cette hauteur vous donnait l’heure de manière simple et sûre.

    L’astrolabe était né. Nous y reviendrons.

« Yo ! place au chat bricolo de Madame A... ! Yo !

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    « C’est parti pour la 2e partie de Souriez, vous êtes filmé ! qui prend son temps ce soir pour vous parler du temps ! Alors... l’astrolabe... C’est cet instrument qui mesure la hauteur du soleil... Les premiers bricolages rudimentaires datent du 12e siècle mais c’est en Belgique, au milieu du 16e siècle, que naquit le premier astrolabe universel. Il fut conçu et fabriqué à Louvain par un certain Gemma Frisius, professeur de médecine. Ses instruments faisaient merveilles et se vendaient partout en Europe — surtout aux armateurs de bateaux qui en avaient besoin pour naviguer.

    Mais comment faisait-on en l’absence de soleil ? Les moines, par exemple, avaient besoin de savoir l’heure pendant la nuit pour certaines de leurs prières. Eh bien l’équivalent de l’astrolabe s’appelait le nocturlabe : on visait simplement des étoiles bien connues dont la hauteur sur l’horizon donnait l’heure.

    Et quand il y avait des nuages ? Oui, bon, on en reparlera !

    Voici quelques engins pas faciles à baptiser !

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    « Ah, les défilés de mode, ça réserve des surprises de temps en temps ! Et, à propos de temps, il n’y a pas que le soleil pour donner l’heure ! Il y a aussi l’eau!

    Car l’autre moyen pour se repérer dans la journée a très tôt consisté à mesurer des intervalles de temps plutôt que des longueurs d’ombres.

    Le mécanisme est enfantin : on remplit d’eau un récipient et on le perce d’un tout petit trou à sa base pour qu’il se vide au goutte-à-goutte. Il suffit, à tout moment, de lire sur un repère la quantité d’eau qui reste pour connaître l’heure ! Et ça marche même la nuit !

    Ce mécanisme, la clepsydre — en grec « voleur d’eau » — est vieux de plusieurs millénaires. L’exemplaire que voyez à côté de moi fut retrouvé à Karnak, en Égypte, et date du règne d’Aménophis 3, il y a 3500 ans. Vous noterez que la forme conique du récipient compense la diminution de pression d’eau au fur et à mesure de l’écoulement...

    Ah nos ancêtres en avaient un peu là, non ?!

    — Nos successeurs, eux, sont bien paresseux, regardez !

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    « Pour en revenir aux clepsydres, vous savez que le grand Galilée en personne les utilisa pour ses expériences sur la chute des corps jusqu’au début du 17e siècle ?

    En plus de laisser tomber des objets du haut de la tour de Pise, il faisait rouler des boules de bronze sur des plans inclinés pour en mesurer l’accélération. Écoutez-le :

    « Quant à la mesure du temps, nous la fîmes à l’aide d’un grand seau plein d’eau d’où sortait, par un fin tuyau soudé sur le fond, un mince filet d’eau reçu dans un petit verre durant tout le temps de la descente de la boule. Les quantités d’eau recueillies étaient pesées chaque fois sur une balance très exacte donnant par la différence et la proportion de leurs poids, la différence et la proportion des temps ! »

    Génial, non ? Peser le temps avec de l’eau !

« ... Attention... Top ! Tout le monde met son casque à présent ! »

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    « Rien de tel que la gym pour se faire mal, laissez tomber !

    On a vu que Galilée avait eu l’idée de peser le temps, mais savez-vous qu’en Chine et au Japon on le sentait, physiquement ?

    Le dispositif, là aussi, est aussi simple que génial : il suffisait de faire brûler des bâtonnets d’encens de longueur fixe et d’épaisseur constante. On mélangeait à l’encens différents parfums naturels qui se diffusaient au fur et à mesure au cours de la journée ! Pour avoir l’heure il suffisait d’avoir du nez ! Abricot ? Au boulot ! Jasmin ? À demain ! Fraise, on bai... euh... passons !

    Les bâtonnets d’encens faisaient aussi office de réveil. On les allumait au coucher, ils se consumaient durant la nuit et au matin, les braises, par un subtil dispositif, brûlaient une cordelette, laquelle, se rompant, libérait une grosse bille sur une série de disques en cuivre qui tintaient comme autant de clochettes.

    Et qui entrait alors par la chatière ? Regardez !

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    « Troisième partie de notre émission consacrée ce soir au temps et à sa mesure. Vous connaissez l’histoire du type à Moscou, le soir de Noël, qui attend sa copine sur la place Rouge. Il a froid, il s’impatiente et finit par sortir son thermomètre : « Si elle n’est pas là à moins vingt, je m’en vais ! »... Bien...

    Les premiers disques fixés sur des mécanismes à engrenages firent leur apparition il y a plus de 2000 ans. Ils fournissaient aux Grecs et aux Romains des indications astronomiques — comme la position des étoiles, les phases de la Lune ou les durées des jours et des nuits.

    Mais ce n’est qu’au milieu du 13e siècle qu’apparurent les premières horloges à poids avec longue tige lestée, oscillations, système d’échappement et de frein.

    Cent ans plus tard l’église milanaise de San Gottardo donnait l’heure, pour la première fois dans l’histoire, à tous ceux susceptibles d’entendre un carillon : un coup à 1 heure, deux coups à 2 heures, trois coups à 3 heures etc.

    Attention aux armoires à jouets quand même !  

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    « Eh bien le cylindre en rotation que nous venons de voir me permet d’enchaîner subtilement avec une invention géniale, qui date de 1400 environ : le couple ressort-fusée !

    Le ressort est une bande de métal enroulée qui permet aux horloges de stocker une grande quantité d’énergie. La fusée est un petit système qui s’arrange pour que le ressort délivre sa tension de manière constante : une corde enroulée sur un cône et le tour — c’est le cas de le dire ! — est joué.

    L’autre date à retenir est celle de 1656, date à laquelle on utilisa pour la première fois en horlogerie, sur une idée de Galilée, le pendule. La précision des mécanismes en fut révolutionnée : de 15 minutes par jours on passa à quinze secondes !

    L’autonomie des horloges fut ensuite multipliée par dix : on ne les remontait plus que deux fois par mois au lieu d’une fois par jour... Leur encombrement et leur poids diminuèrent aussi. Les astronomes et les navigateurs s’en emparèrent, bref, les progrès techniques explosèrent.

    Bébé, lui, découvre d’étranges coupures d’eau, regardez !

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    « De quand date la montre-bracelet telle que nous la connaissons ? D’une centaine d’années, pas plus ! Auparavant on n’utilisait que des montres de gousset — c’était leur nom —, mécanismes fragiles que les hommes portaient au bout d’une chaîne dans une poche du gilet.

    Ce sont les femmes, les premières, qui se passèrent la montre au poignet, comme un bijou. Les aviateurs et les sportifs suivirent, au début des années 1900. Mais la majorité des hommes estimait encore que porter une montre-bracelet était incompatible avec leur statut et leur virilité !

    Pourquoi les Suisses sont-ils associés à tout ce qui est montre et mesure du temps ? Eh bien tout simplement parce que Calvin, le célèbre Réformateur un rien autoritaire, prit le pouvoir à Genève en 1541 et décida d’y bannir tous les objets ornementaux. Les orfèvres et les joailliers de la ville durent alors se reconvertir dans un autre art : celui, justement, de l’horlogerie...

« ... ça marche même pas ce machin — merci monsieur Calvin ! »

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    « Prêts ? Attention... top ! — La seconde est la durée de 9 milliards 192 millions 631 mille 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 — top ! Combien j’ai mis, là ?

6 secondes ? 7 ? C’est fou ça, six secondes pour lire la définition de la seconde !

    La minute se compose de 60 secondes ! Ah ah ! Je suis plus rapide là, hein !

    Vous avez compris, notre monde a besoin de toujours plus de précision. Même les montres à quartz et les pendules atomiques de naguère ne suffisent plus. Aujourd’hui, pour mesurer n’importe quelle distance ou vitesse on a besoin de systèmes ne variant que d’une seconde par million d’année ! Le GPS par exemple, qui indique à votre voiture le chemin à suivre, dépend d’horloges au césium capables de mesurer les temps aller-retour ultra-brefs d’un signal électrique — ceux que vous émettez et recevez d’une série de satellite par exemple.

    Bon, c’est pas tout ça, on enchaîne avec du bon vieux mobilier !

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    « Voilà, c’est avec ce petit accident domestique que nous allons terminer — dans les temps, j’espère — ce numéro de « Souriez ! »

    J’aurais aimé, comme d’habitude, vous parler d’un tas d’autres choses intéressantes, comme de ce séquoia géant de 1.338 ans dont une tranche figure au musée de Manchester : on peut y lire le climat depuis sa germination en 557, date de la naissance du prophète Mahomet ! Car les anneaux de croissance des arbres, des coquillages ou des défenses d’éléphants, par exemple, sont d’excellents calendriers.

    J’avais également noté deux ou trois choses sur l’heure d’été, sur les bougies graduées, sur les premières minuteries des bombes à retardement — car les progrès dans la maîtrise du temps ne furent pas tous positifs, pensez à la pointeuse ! —, sur les sabliers aussi qui ne contenaient presque jamais de sable mais de la coquille d’œuf finement pilée, mais voilà ! Plus le temps !

    Envoyez-nous toujours à l’adresse que vous connaissez vos meilleures images et... à la prochaine fois !

 

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