Les Jeux

 

 

     Bonsoir à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés » ! Ce soir nous irons jeter un œil du côté des jeux et des joueurs — pas les jeux Olympiques, ni les joueurs de foot, ni aucun autre sportif d’ailleurs —, mais les jeux de cartes, les jeux de hasard, les jeux vidéo, etc.

     Mais avant de jouer, un rappel, celui de l’adresse à laquelle vous devez nous envoyer vos images perso les plus drôles — dégringolades, catastrophes, mauvaises blagues, bref tout ce qui peut faire rire à vos dépens ou à celui de vos proches — sans méchanceté, bien sûr !

     Donc, cette adresse : « Souriez, vous êtes filmés » BP6, Schaerbeek 6, 1030 Bruxelles.

     Le jeu, quoi qu’il en soit, semble aussi vieux que l’humanité — et même plus : si ça se trouve les jeunes dinosaures jouaient déjà à chat ou à cache-cache ? Leur long cou les handicapait un peu, c’est vrai, et leur embonpoint aussi, mais qui sait ? On se retrouve après ça...

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     « Les origines du jeu, donc, semblent se perdre dans la nuit des temps. Une légende égyptienne met en scène Geb, qui règne sur la Terre et sa sœur Nout, qui règne sur le ciel. Ils s’aiment... et voilà Nout enceinte. Atoum, le créateur, le dieu solaire, est furieux : il maudit cet inceste et interdit à Nout d’accoucher — je cite — « aucun jour, d’aucun mois, d’aucune année ».

     Mais Nout a un amant — ça se complique ! — du nom de Toth, lequel est peut-être le premier joueur invétéré de la mythologie. Toth provoque la Lune au jeu des tables, une sorte de trictrac ou de backgammon comme on dirait aujourd’hui. Pour chaque victoire, Toth aura droit à une fraction de la lumière de la Lune — et c’est ce qui se passe. Avec ses gains Toth fabrique donc cinq jours supplémentaires qu’il ajoute aux 360 qui existaient déjà. C’est pendant ces cinq jours supplémentaires — qui n’appartiennent de ce fait à aucun mois d’aucune année — que Nout mettra au monde ses cinq enfants : Isis, Osiris, Haroeris, Seth et Nephtys...

     Bravo, Toth, bien joué ! — et Toth ziens ! — hem...

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     « Des tas de jeux peuvent s’exercer sans accessoires, comme les courses-poursuites, les parties de cache-cache ou le jeu pierre, papier, ciseaux. Même le colin-maillard peut se passer de bandeau, puisqu’on met celui-ci sur des yeux fermés — en théorie !

     Mais très vite les joueurs ont utilisé des éléments extérieurs, souvent symboliques, comme des figurines, des poupées, des cailloux, des osselets, des lignes tracées dans la poussière, des marelles... L’ingéniosité humaine, semble-t-il, n’a pas de limite dès qu’il s’agit de ne pas travailler...

     Mais qui fut l’inventeur génial du , cette façon astucieuse de faire intervenir le hasard au cours d’une partie ? On a trouvé son ancêtre en tout cas, il est âgé de 5000 ans, c’est un bâtonnet plat qu’on faisait tourner sur sa pointe et qui pouvait tomber d’un côté ou de l’autre — une sorte de pile ou face. Puis il y eut la toupie, avec une sorte de disque à plusieurs côtés : en fin de rotation elle s’appuyait sur l’un d’eux. Le dé, quant à lui, ne ressembla pas tout de suite à un cube : on a retrouvé en Mésopotamie des dés à jouer en forme de petites pyramides...

Attention, séquence ‘sport’ — olé !

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     « Mais que vient faire Bruegel l’Ancien dans cette galère ? Eh bien son tableau « Jeux d’enfants », peint en 1560 et visible au Kunsthistorisches Museum, place Marie-Thérèse à Vienne — fermé le lundi, ouverture jusqu’à 21 heures le jeudi, entrée 8 euros 70, audioguide compris, réductions étudiants —, son tableau « Jeux d’enfants », donc, en illustre plus de 80, de jeux, d’enfants...

     On trouve en bas à gauche par exemple des joueurs d’osselets — les osselets sont de petits os de mouton choisis dans l’astragale, près du talon, qu’on lançait en l’air et qu’il fallait rattraper sur le dos de la main. Parfois on les laissait tomber sur le sol : selon la face qu’ils présentaient, un peu à la manière d’un dé, on gagnait ou perdait un pari.

     Plus loin, on voit des pousseurs de cerceaux, des tireurs à la corde, un jeu de colin-maillard, un saute-mouton, deux parties de boules différentes, des concours d’équilibre, des toupies qu’on fouette, un jeu de quilles — et même, tout en haut à droite, une sorte de chenille qui redémarre...

     L’escamoteur de Jérôme Bosch n’est pas triste non plus... Allez, on l’escamote...

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     « Les cartes à jouer apparurent en Occident vers l’an 1370. Comment le sait-on ? Parce que l’écrivain italien Pétrarque publia en 1366 ses Entretiens familiers sur la bonne et la mauvaise fortune, texte où sont mentionnés la plupart des jeux de l’époque — échecs, dés, jeu de paume, loteries et autres jeux de table —, mais pas les cartes. On trouve, en revanche, plusieurs édits datés de 1376, soit dix ans plus tard, qui en interdisent la pratique dans certaines circonstances.

     L’apparition des jeux de cartes révolutionna les loisirs. Elle correspond à une période où la foi religieuse diminuait fortement. Des tas de jeux surgirent, comme le glic, le flux, le 31 et le tarot — avec ses 78 lames, comme on dit —, mélange d’arithmétique et de magie.

     Mais le roi des jeux de cartes est incontestablement le bridge, sorte de jeu de bataille où deux camps s’affrontent pour faire le nombre de plis annoncés. Si le bridge est réputé, c’est parce que le hasard y tient la place la plus réduite possible — et l’intelligence des joueurs la plus grande. Ça n’empêche pas les ordinateurs de faire d’immenses progrès, comme partout. Mais les humains, à l’heure qu’il est, tiennent toujours tête de justesse ! aux GIB, Jack, Baron et autres EB7...

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     « Ce qu’il y a d’agréable, avec les cartes, c’est qu’on peut y jouer seul. C’est beaucoup moins risqué que les parties de poker, par exemple, où l’on peut perdre sa chemise — et même plus. Le titre de ce célèbre tableau de Georges de la Tour dit tout, c’est le Tricheur à l’as de carreau — dont il existe une autre version, d’ailleurs, le Tricheur à l’as de trèfle, les deux versions s’inspirant — est-ce de la triche ? — d’un troisième tableau, Les Tricheurs, peint par le Caravage une trentaine d’années auparavant.

     Les réussites, ou patiences, que nous préférons sont, dans l’ordre, la Napoléon (on étale les 52 cartes en quatre rangées qu’il faut réordonner de l’as au roi) ; l’ascenseur (c’est celle qu’on trouve dans Windows, on déplace un 7 rouge sous un 8 noir par exemple) ; l’horloge (chaque carte doit retrouver sa place sur le cadran d’une l’horloge) ; le dix (on recouvre, dans un carré de 9 cartes, celles dont le total fait 10) ; l’entre-deux (on déplace vers la gauche un paquet encadré par deux rois, par exemple, ou deux trèfles), etc., etc.

Et Rabelais ? Un peu de patience... après ceci...

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     « Rabelais, dans sa Vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, mentionne les noms de 218 jeux de société — liste qu’il entame par trente-cinq jeux de cartes. La musique de cette litanie bercera les oreilles, pensons-nous, des joueurs les plus blasés... Écoutez, nous sommes en 1534.

     « Puis le vert étendu, l’on déployait force cartes, force dés & renfort de tabliers. Là jouait au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à la pille, à la triomphe, à la picarde, à l’espinay, à 31, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a parlé, à pille—nade—iocque—fore, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui fait l’un fait l’autre, à la séquence, aux luettes, au tarot, à qui gagne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux échecs, au renard, aux marrelles, aux vaches, à la blanche, à la chance, à trois dés, aux talles, à la nicnocque, à lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabattues, au reniguebleu, au force, aux dames, à la babou, à primus secundus, au pied du couteau, aux clefs, au franc du carreau, à par ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, à la vergette, au palet, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moine, au tenebri, à l’ébahi, à la foule, à la navette, à fessart... »

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     « Bienvenue dans la deuxième partie de « Souriez, vous êtes filmés ! » consacrée, comme la première, aux jeux de société — comme le Scrabble, par exemple !

D’où vient ce jeu ? Mais des États-Unis, où un architecte au chômage le conçut durant la grande dépression de 1929. Trouvant les échecs trop compliqués et les dés trop liés à la chance, il imagina le « Lexico », un jeu de lettres pratiqué avec des jetons, comme le Scrabble actuel, mais sans plateau : il fallait juste écrire des mots, les plus longs possibles. Mais la sauce ne prit pas, les grandes sociétés spécialisées dans les jeux ne lui voyant aucun avenir. Ce n’est qu’après la guerre et quelques modifications que le succès arriva. Le Scrabble s’était successivement appelé New Anagrams, Alph, Criss-Cross et Criss-Crosswords. To scrabble, en anglais, c’est chercher à tâtons : l’ex-chômeur, lui, trouva le jackpot et devint millionnaire. Il vécut jusqu’à 93 ans : une vie qui compte triple !

     Petit cocorico, c’est en Belgique que fut inventé le Scrabble duplicate, où chaque joueur affronte les autres avec les mêmes tirages, éliminant la chance et ouvrant la porte à la compétition. Bravo !

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     « Vous savez qui a construit le plus de maisons dans le monde depuis le Big Bang ? Un indice pour vous aider, ce nombre est supérieur à 5 milliards ! Et bien c’est la société américaine Parker Brothers, laquelle fabrique chaque jour en moyenne 200.000 petites maisons vertes pour le jeu de... Monopoly !

     Ce jeu fut inventé, lui aussi, par un chômeur lors de la grande dépression de 1929. Et comme pour le Scrabble il fut rejeté par toutes les sociétés spécialisées. L’une d’elle, en 1934, motiva même sa décision en affirmant que les règles du Monopoly enfreignaient 52 lois fondamentales dont celles-ci :

(1) les parties étaient trop longues,

(2) les règles étaient trop compliquées,

(3) il n’y avait pas, sur le plateau, la classique ligne d’arrivée comme au jeu de l’oie...

     Charles Darrow s’obstina, lui aussi, et finit par triompher. Il fut même le premier créateur de jeux millionnaire en dollars. Retiré des affaires à 46 ans, il vécut confortablement de ses loyers — pardon, de ses droits d’auteur ! — jusqu’à sa mort, à 78 ans.

     Les meilleurs terrains ? Les oranges et les rouges, bien sûr !

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     « Les jeux de hasard sont aussi vieux que l’humanité. Mais les jeux de dés qui n’opposent que quelques joueurs n’eurent jamais autant de succès que les premières loteries — lesquelles mettaient à contribution des communautés beaucoup plus vastes, voire la population entière d’un pays.

     La toute première loterie semble remonter au 16e siècle, en Angleterre, mais c’est en Italie — d’où nous vient le nom du Lotto avec deux « t » — que cette activité connut son développement le plus spectaculaire. Développement accompagné d’ailleurs des progrès des mathématiques et du calcul statistique.

     Notre Loterie nationale surfe sur cette vague depuis bientôt trois quarts de siècle. Elle a lancé en quinze ans une quantité incroyable de produits — comme on dit. Écoutez plutôt :

     Lotto, Joker, Toto, Toto « X », Sweepstake, Presto, Subito, Duo, Baraka, Domino, 21, Tele-Kwinto, Keno, Scrratch !, Trix, Magico, Eldorado, Picto, Subit’Euro...

     Le Bingovision, lui, permettra de jouer aux Quatre coins, à la Croix, au Tout couvert et au Jackpot.

     Et dire que je n’ai jamais rien gagné...

— Faites vos jeux — rien ne va plus !

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     « Peut-on considérer le labyrinthe comme un jeu ? Se perdre plus ou moins volontairement a toujours été une peur et un plaisir à la fois. Le labyrinthe le plus célèbre est celui que construisit Dédale en Crète afin d’y emprisonner le Minotaure, un monstre mi-homme mi-taureau. Dédale lui-même y fut enfermé avec son fils Icare, mais ils réussirent à s’en évader par les airs.

     Le labyrinthe, dont on cherche le centre ou la sortie, est au cœur de mythes très puissants. On en a identifiés certains, gravés dans la pierre, qui sont âgés de plus de 10.000 ans. Pour les chrétiens le labyrinthe symbolisait la recherche du salut — et c’est pourquoi on en retrouve plusieurs dessinés sur le sol de certaines cathédrales, comme à Chartres ou Amiens.

     À la Renaissance les jardins fourmillaient de labyrinthes et celui de Charles Quint, à Bruxelles, était fameux.

     Aujourd’hui ils refleurissent en été, éphémères constructions de maïs à 7 euros le ticket d’entrée. On peut leur préférer les labyrinthes de miroirs à la foire, nettement moins chers, ou le jeu de l’oie, carrément gratuit — et véritable ancêtre spiralé de ce type de parcours...

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     « Allez hop ! c’est reparti pour un tour — un tour de Babel, d’ailleurs, dont vous pouvez admirer ici l’œuvre éponyme de Bruegel l’Ancien, toujours lui. Quel rapport avec le jeu ? C’est parce que le moment est venu d’évoquer le puzzle, activité ludique qui correspond elle aussi à un désir fondamental de l’homme : réunir ce qui est dispersé ! Et cette tour en est l’illustration : éclatement des langues humaines, rêve et mythe d’un retour à l’unité !

     Les premiers puzzles datent de 1760, ils sont apparus à Londres dans la boutique d’un imprimeur, John Spilsbury. Celui-ci eut l’idée de commercialiser des cartes de géographie en les collant sur un fin support d’acajou, qu’il découpa ensuite selon les frontières des régions ou des pays. Le succès fut foudroyant — et les boîtes de l’imprimeur s’arrachèrent.

     Le support carton ne se popularisa qu’en 1920 mais il permit à la production de puzzles d’exploser : il se vendait aux États-Unis, dans les années précédant la seconde guerre mondiale, plus de 2 millions de boîtes par semaine !

     Voyons sur ces images comment recoller d’autres morceaux... _________________________

 

     « Nolan K. Bushnell restera dans l’histoire du jeu pour avoir créé Pong, il y a 30 ans exactement. C’était le premier jeu vidéo, un ping-pong rudimentaire en noir et blanc, avec grosse balle cubique et effets sonores minimalistes.

     Il conçut aussi la console Atari et un modèle économique toujours en vigueur aujourd’hui qui voulait que la cartouche de jeu soit séparée de la machine.

     Adieu Space Invaders et Pacman : les dernières créations vidéo n’ont plus rien à voir avec les débuts. Ce sont en effet les jeux en ligne, en temps réel sur Internet, qui ont le plus de succès. Sur certains serveurs géants plus de 500.000 fanatiques se connectent simultanément, s’affrontant dans des mondes virtuels moyenâgeux ou futuristes, dégommant à qui mieux-mieux créatures d’apocalypse, Aliens et autres monstres.

     À elle seule, l’industrie du jeu vidéo génère aujourd’hui un chiffre d’affaire supérieur à celui du cinéma mondial... La télévision résiste encore, mais... « PING » pour... « PONG » combien de... « PING » temps... « PONG » ? — Merci Nolan !

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     « Connaissez-vous les Neuf Positions stratégiques du Jardin de la Vallée d’or ? Non, ce n’est pas ce que vous pensez, mais un traité invitant à la découverte de l’art subtil du go ! Le go étant ce jeu mystérieux qui se pratique à l’aide de pions blancs et noirs que l’on pose, sans plus les bouger, sur un plateau quadrillé. Le but est d’entourer le plus de territoires possibles. Il est apparu en Chine il y a 4000 ans mais sa pratique ne s’y répandit vraiment qu’au 7e siècle, quand il fut intégré aux trois arts sacrés qu’étaient la peinture, la musique et la calligraphie. Il n’est arrivé chez nous que dans les années ’60, malgré des règles très simples et le plaisir immédiat qu’on y prend.

     Le go est très profond, malgré les apparences — c’est d’ailleurs le jeu le plus rétif à la programmation. Autant les ordinateurs battent-ils les meilleurs aux échecs, aux dames, au bridge, à l’Othello, au Scrabble etc., autant ils sont ridicules contre de simples amateurs...

     Alors, go !, jetez-vous à l’eau, et à vous les joies du fuseki (début de partie), du chuban (milieu), du yose (fin), ou de l’hara-kiri — en cas de défaite...

Sayonara !

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     « Voilà, c’est avec ces images que nous allons devoir nous quitter... J’aurais encore aimé vous parler des grands classiques que sont le Trivial Pursuit, le Stratego, le Pictionary, le Rubik’s cube, les dominos, le Tangram, le Mastermind, l’awele africain, les jeux de rôles, les casinos, les flippers ou les mots croisés — mais nous n’avons plus le temps.

     Jouez plutôt avec votre caméscope car il fait beau, les jours rallongent et la lumière gagnée permet de filmer tard dans les jardins !

     Envoyez-nous vos meilleures séquences à l’adresse habituelle, elle s’imprime ici — non là ! — non là ! « Souriez vous êtes filmés ! — Boîte Postale 6, Schaerbeek 6, 1030 Bruxelles ».

     La prochaine émission sera consacrée à la météo et au temps qu’il fait. N’hésitez pas à nous écrire à la même adresse pour nous raconter quelques histoires d’orage, de grand soleil ou de foudre en boule — nous les évoquerons sur antenne.

     Bye bye !