[Bestiaire ébloui des lexies tératoïdes]

Chapitre 52

Adjectives

 

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Il y a quelques années (le 21 juin 1993) passait en Belgique un décret visant à féminiser les noms de métiers dans les actes administratifs. Une semblable initiative fut encouragée par Lionel Jospin à l’occasion d’une circulaire (J.O., 8 mars 1998, p.3565), soulevant, comme toujours en France dès qu’on touche au patrimoine national que constitue la langue, quelques vagues.


Malgré les combats d’arrière-garde, la féminisation semble avoir partie gagnée désormais. La lutte fut longue, marquée, il y a cent ans déjà, par une suffragette française, Hubertine Auclert qui déclarait : « L’absence du féminin dans le dictionnaire a pour résultat, dans le Code, l’absence des droits féminins ».

 

Deux anecdotes :

 

- l’essai, en 1980, d’introduction au Canada du mot-valise madelle en remplacement des madame et mademoiselle, supposés discriminatoires par rapport à l’unique monsieur ;

- la proposition de John P. Harris, journaliste au Times de Londres, dans son article Prisoners of gender :

« Le genre masculin a longtemps eu son règne. Il est temps de laisser l’autre bord avoir son tour. Ainsi décrétons que le féminin sera le genre normal. Donnons la forme féminine en premier pour les adjectifs dans les dictionnaires » (in Les délires de l’orthographe, par Nina Catach).

 

Les adjectifs, justement, semblent faire moins de barouf que les noms de métiers à féminiser : quels sont ceux qui changent le plus lors d’une bascule masculin/féminin ?

 

Voici une liste de couples intéressants, classés selon le nombre de signes modifiés [pour les adjectifs qui n’ont pas d’équivalent dans l’autre genre (comme bissextile, enceinte, preux), voir le § 536 du Bon Usage de Grevisse, ouvrage duquel nous sommes très redevables pour les énumérations qui suivent] :

 

0 signe modifié au féminin :

agricole, bizarre, chic, difforme, éclectique, funeste, gaga, horrible, impie, jetable, kaki, large, mastoc, nord, omnisports, polychrome, quintuple, rouge, snob, tricolore, utile, vingtième ;

 

1 signe :

aigu(ë), bancal(e), bénit(e), câlin(e), délicat(e), faraud(e), gris(e), hâlé(e), idiot(e), lapon(e), letton(e), mormon(e), voisin(e) ;

 

2 signes :

ambitieux/ambitieuse, andalou(se), blanc(he), bon(ne), chou(te), coi(te), complet/complète, doux/douce, esquimau(de), favori(te), fier/fière, franc(he), gentil(le), gros(se), jaloux/jalouse, long(ue), muet(te), menteur/menteuse, naïf/naïve, nul(le), paysan(ne), pâlot(te), rigolo(te), sien(ne), tiers/tierce, veuf/veuve, vif/ve ;

 

3 signes :

beau/belle, bénin/bénigne, bêta(sse), bref/brève, caduc/caduque, ce(tte), copain/copine, faux/fausse, grec(que), laïc/laïque, maître(sse), malin/maligne, mou/molle, profès/professe, public/publique, roux/rousse, sec/sèche, touareg/touarègue, traître(sse), turc/turque, vioc/vioque ;

 

4 signes :

frais/fraîche, indicateur/indicatrice, protecteur/protectrice, vieux/vieille ;

 

5 signes :

enchanteur/enchanteresse, expulseur/expultrice, fou-fou (ou foufou)/fofolle, vengeur/vengeresse.

 

 

Cas particuliers (les adjectifs suivants doivent être traités à part, semble-t-il) :

 

- hébreu, dont le féminin est juive ou israélite (en parlant des personnes), et hébraïque (en parlant de choses, bien qu’hébraïque soit aussi employé au masculin) ;
- maure, dont le féminin, pour certains auteurs, est mauresque, bien que maure et mauresque existent dans les deux genres ;
- sauveur, dont le féminin, salvatrice, est emprunté au féminin de salvateur ;

- vainqueur, dont le féminin, victorieuse est emprunté au féminin de victorieux.

 

Restent les adjectifs composés, rebelles au système de comptage évoqué plus haut. Combien de signes changent lors du passage de dernier-né à dernière-née ? Et de bas-breton à basse-bretonne ? Un auditoire social-chrétien sourd-muet devient-il au féminin pluriel des assemblées sociales-chrétiennes sourdes-muettes ? On retrouve les aléas du chapitre précédent en ses calculs des modifications d’un mot...

 

La règle générale de formation du féminin (ajouter e au masculin – comme dans rouquin/rouquine) est battue en brèche par Fasolat & Lyant dans leur incontournable « Grammaire turbulente du français contemporain », parue chez Seghers :

 

un loup / une loupe

un pont / une ponte

un chais / une chaise

un frais / une fraise

un gland / une glande

un vent / une vente

un port / une porte

un pair / une paire

un patin / une patine

un lézard vert / une lézarde verte...

 

Trouverez-vous, pour la prochaine fois, trois adjectifs plus courts au féminin qu’au masculin ?

 

 

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